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l’inventeur savoyard a entièrement transformé la machine anglaise, que de cette machine à vapeur à trois pistons et à deux cylindres il a fait la petite, l’élégante perforatrice qui troue maintenant les Alpes, mue par l’air comprimé et à un seul piston, se circonscrivant dans un parallélipipède de 2 mètres 10 centimètres de long, de 23 centimètres de large et de 40 de haut, facilement transportable par deux ouvriers et tenant si peu de place qu’on peut en aligner jusqu’à dix contre le front d’attaque, en un mot une invention vraiment nouvelle. « La question du forage des trous de mine, disait M. Sommeiller, a été résolue par l’invention d’un outil très ingénieux, d’une efficacité prodigieuse, d’une construction simple, reposant sur un principe si puissant, si élastique et d’une maniabilité si commode que, lorsqu’on l’a vu fonctionner une fois, on ne peut s’empêcher de dire : Il travaillera toujours et partout, dans toutes les directions et dans toutes les conditions diverses qui peuvent se rencontrer dans l’art du mineur. » C’est l’apparition de cet outil qui avait déterminé la nouvelle application de l’air comprimé à la perforation mécanique. En le voyant percer les roches les plus dures avec une rapidité vingt fois plus grande que par le travail ordinaire, M. Sommeiller avait eu l’idée de lui appliquer la nouvelle force motrice au lieu de la vapeur, qui le rendait impropre au percement des longs tunnels. La première force était toute trouvée, et des appareils de compression d’un modèle restreint fonctionnaient déjà près de Turin, à Collegno, en 1856. Il n’y avait plus qu’à mettre bout à bout le perforateur Bartlett avec le système de compression des trois ingénieurs. « Qu’on les joigne, dit M. Sommeiller, et le problème est résolu. » Mais, pour faire accepter à un corps délibérant le projet du percement des Alpes, il fallait autre chose que des explications techniques sur les moyens d’exécution. Aussi, abandonnant les détails arides, l’inventeur sut s’élever à des considérations propres à saisir les imaginations. Il décrivit à grands traits le mouvement général qui emporte les esprits et les choses de notre époque, les puissans et rapides moyens de communication qui se sont développés depuis quarante ans, — qui ont supprimé les distances non-seulement entre les divers états d’un même continent, mais entre les continens eux-mêmes; il suivit les grands courans par lesquels circulent déjà ou vont circuler bientôt les richesses du monde, et, s’arrêtant à l’isthme de Suez et à la section des Alpes entre le Mont-Cenis et le Tabor, il indiqua la direction naturelle du plus grand de ces courans, de celui qui va entraîner les richesses du continent asiatique et du continent européen. « Voilà pourquoi, ajoutait-il, nous en particulier nous suivons avec l’anxiété la plus grande les phases que subit ce gigantesque projet de la canalisa-