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faisait construire ses machines, il s’arrêta quelques jours à Paris pour consulter une des illustrations de la science. Au premier mot d’air comprimé, son interlocuteur se dresse comme par un ressort et le regarde longuement; puis, comme le savant était avant tout un homme aimable et poli, il donne sur l’air comprimé une consultation qui montrait l’étude approfondie qu’il en avait faite, et il conclut par ce souhait caractéristique : « Monsieur, dit-il en prenant congé de l’inventeur, je vous souhaite un meilleur sort qu’à deux de mes amis, dont l’un a perdu la tête et l’autre sa fortune à la recherche de l’air comprimé. »

Force ingouvernable, incompressible, qui brisera ses appareils de production, qui éclatera entre les mains qui voudront l’employer, telle était alors l’opinion courante dans les hautes régions de la science sur l’air comprimé, opinion qui arrivait jusque dans le cabinet de M. de Cavour, apportée par des savans officieux; mais il n’était pas homme à reculer devant une force qu’on lui disait être ingouvernable. Il mit la main sur celle-là, il lui accorda son patronage officiel avec la même hardiesse dont il devait faire preuve plus tard en s’emparant de la révolution et des révolutionnaires pour accomplir la grande œuvre de la délivrance italienne. Il n’avait encore rien perdu de son assurance quatre mois après, lorsqu’il s’agit de défendre devant le parlement la convention du 28 mars et de lui accorder la sanction législative. Le premier, il osa prédire l’avenir réservé à la nouvelle force motrice et les services qu’elle allait rendre aux nations qui n’ont pas de charbon pour produire la vapeur d’eau. « Si cette invention réussit, disait-il dans la séance du 29 juin 1854, elle peut produire des résultats considérables : avec une chute d’eau, vous pouvez comprimer l’air en quantité indéterminée et créer une force vive transportable à volonté; avec une chute d’eau, vous avez ce qu’on a avec le charbon qui se transforme en force vive; vous pouvez transformer l’eau qui tombe en force portative. Et cela serait pour notre pays ce que sont pour l’Angleterre ses machines à vapeur. » Puis, jetant un regard sur la géographie physique de la Haute-Italie, sur ce magnifique amphithéâtre des Alpes d’où se précipitent en bondissant les cent rivières que recueille le Pô, il ajoutait avec un juste orgueil : « Nous avons en chutes d’eau plus de force motrice que l’Angleterre dans toutes ses mines de charbon. » Il n’y avait pas à hésiter, il fallait encourager les inventeurs et mettre à leur disposition les fonds nécessaires aux expériences. La chambre, gagnée par les brillantes perspectives qu’un homme aussi positif que M. de Cavour ouvrait devant la nouvelle invention, vota la convention du 28 mars à une grande majorité. Il était accordé aux inventeurs trois ans pour l’application de