Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On tenait enfin les deux élémens de la solution du problème du percement des Alpes, la force motrice et l’aération. Ce ne fut pas cependant à la grande entreprise que les trois ingénieurs eurent d’abord l’idée d’appliquer leur invention, mais à la propulsion des trains sur les plans inclinés des chemins de fer. Au flanc de l’Apennin, sur le chemin de fer de Turin à Gênes, à la sortie du grand tunnel du Giovi, est une pente rapide de plus de 35 millimètres par mètre sur une longueur d’environ 10 kilomètres, d’une exploitation coûteuse, difficile, désagréable, sinon dangereuse pour les voyageurs, qui sont cruellement agacés par le grincement des rails que mordent les freins et par le bruit des lourdes locomotives, appelées mastodontes, qu’on y attelle. Ce passage est comme une épine au cœur du génie civil du Piémont, et il le sent d’autant plus vivement que tout près est son meilleur titre de gloire, ce tunnel du Giovi dont M. Sommeiller disait en 1856, à la tribune du parlement, « qu’il ne connaissait aucune œuvre d’art où le génie des anciens ingénieurs romains se fût reproduit avec plus de science et de grandeur. » C’est là que la nouvelle force allait recevoir une application singulière qui étonnait beaucoup de monde. La chute d’eau nécessaire à la compression était toute trouvée. Une compagnie industrielle de Gênes venait de prendre au versant nord de l’Apennin la rivière de la Scrivia, et l’avait conduite par un drain énorme à travers le tunnel sur le versant méridional pour arroser et désaltérer la superbe cité des Fieschi et des Doria. Le gouvernement, qui avait fourni le passage, s’était réservé par prévoyance l’usage d’un certain volume de la rivière détournée. Cet essai, qui n’a pas eu de résultat direct jusqu’à ce jour, ne mériterait pas d’être rappelé sans les incidens parlementaires fort curieux auxquels il donna lieu, et qui ont révélé une fois de plus la hardiesse d’esprit du comte de Cavour. Il n’hésita pas devant la nouvelle force motrice mise au service de l’humanité, et, avant que la science et l’expérience eussent prononcé, avant même que les machines fussent construites, sur de simples dessins présentés par les ingénieurs, il engagea le gouvernement, par la convention du 28 mars 1854, dans la mise en pratique d’une invention à laquelle l’Europe savante n’épargnait alors ni les objections ni même les railleries. Le fameux principe que toute force vive est le produit du calorique venait de faire son apparition dans le monde scientifique, et on l’appliquait impitoyablement à la production de la nouvelle force. En vertu de ce principe, le travail de la compression allait dégager une telle quantité de calorique que les appareils compresseurs seraient bientôt chauffés à blanc et mis hors de service. M. Sommeiller raconte à ce propos, dans un écrit fort spirituel, que, revenant de la Belgique, où il