cause même qui l’avait produite. Qu’on le sache bien, dans le travail obscur, sanglant, à certains égards surhumain, que la Pologne est condamnée à poursuivre désormais pour la conservation de son église, de sa nationalité et de sa vie sociale, ce n’est plus uniquement, comme autrefois, avec un gouvernement oppresseur qu’elle devra se mesurer à chaque pas, mais avec toute une race alarmée, haineuse et farouche, avec le « peuple-tsar, » qui persécutera par patriotisme, expropriera par vertu civique, bouleversera pour remplir une « mission, » et c’est des négociations diplomatiques de 1863 que datera pour la Pologne cette nouvelle et inénarrable ère de son long martyre ! Jamais sollicitude européenne pour une nation malheureuse ne tourna ainsi au détriment de ceux même qu’elle prétendit protéger ; jamais pitié ne se montra à ce point meurtrière dans ses effets, — crudelis misericordia, pour parler le langage du grand scolastique.
Il serait peut-être permis de se demander si, après avoir accumulé tant de désastres et rendu la lutte éternellement implacable, les cabinets de l’Occident étaient encore en droit de se retirer de la lice, et si, pour se disculper d’avoir créé à la Pologne, par leur ingérence, un véritable enfer, il suffisait de montrer les bonnes intentions dont ils l’avaient pavé. Il y a une responsabilité morale même pour les bonnes intentions, quand elles produisent de si épouvantables malheurs, alors surtout qu’il s’agit des deux puissances les plus grandes et les plus civilisées du monde ; dont l’une avait déclaré « ne parler jamais en vain, » et dont l’autre avait non moins solennellement affirmé que « ce qui s’était passé après 1831 en Pologne ne saurait plus se renouveler. » Dans tous les cas, les puissances n’étaient-elles pas tenues au moins de répondre par un acte significatif et digne à l’attitude que venait de prendre définitivement le cabinet de Saint-Pétersbourg, et la démarche qu’avait recommandée depuis longtemps lord Malmesbury ne se présentait-elle pas dès lors comme la conséquence forcée d’une négociation si inutilement prolongée, si brusquement interrompue ? S’élevant avec vigueur, dans la séance de la chambre des lords du 24 juillet 1863, contre la conduite adoptée par le comte Russell, l’ancien chef du foreign office du cabinet tory avait indiqué la manière dont l’Angleterre aurait pu et dû, selon lui, intervenir sans provoquer des malheurs et en sauvegardant sa dignité (interfer innocently and with dignity). « Nous aurions pu, disait-il, simplement faire savoir à la Russie l’opinion que nous avions de son régime en Pologne, de son mépris des traités et de la cruauté avec laquelle elle poursuivait cette guerre. Vous auriez pu faire ce que vous avez fait à l’égard du roi de Naples, vous auriez pu rappeler votre ambassadeur