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la somme de 20 millions dans l’entreprise du tunnel. Le côté financier du problème du percement des Alpes était résolu par cette concession du 14 mai 1857, réduite en loi le 29 juin suivant. La concession de 1857 couronnait la série des mesures administratives adoptées par le gouvernement en vue de la grande entreprise. Le rôle de la politique et de l’administration était fini, celui de la science et du génie d’invention allait commencer.


II.

La science n’était pas demeurée oisive en face du problème. La géologie s’était imposé la tâche de sonder les milieux que le tunnel allait traverser. Quelle est la nature de ces milieux? Cette question, soulevée dès 1845, piquait vivement la curiosité et mettait en mouvement beaucoup d’esprits à Turin, à Chambéry, à Genève et à Paris. On vit alors se succéder des travaux remarquables sur la structure et la minéralogie des Alpes. Par l’étude des affleuremens, par l’observation des couches qui se montrent à la surface, par la nature géologique, la direction et l’épaisseur de ces couches, on est arrivé à dégager l’inconnue cherchée avec une exactitude que n’a pas encore sensiblement mise en défaut l’ouverture pratiquée jusqu’à ce jour. Toutes les roches que traversera le tunnel des Alpes rentrent dans les trois groupes admis par les géologues italiens : l’anthracite supérieur, l’anthracite inférieur, l’oolithe inférieure. Elles prennent les noms de micachiste, de talchiste, de calchiste et de quartzite, suivant que dans ces groupes de roches dominent plus ou moins le mica, le talc, le calcaire ou le quartz. L’avancement des travaux a confirmé jusqu’ici la stratification prévue par la science, et les feuillets déjà ouverts du grand livre des Alpes n’ont pas donné un démenti à ce qu’y avaient lu à livre fermé Sismonda et Élie de Beaumont ; mais d’autres y plaçaient des obstacles insurmontables, des minerais de fer ou de cuivre, des roches d’une perforation lente et difficile, d’une telle consistance que le trou de mine y ferait l’effet d’un canon qui vomit sa charge sans éclater. D’autres encore, se laissant diriger par leur imagination plutôt que par la science, plaçaient dans ces mystérieuses profondeurs des sables bouillans, des cavernes, des abîmes sans fond, des amas d’eau, tout un épouvantail de nature à effrayer les plus audacieux entrepreneurs. Les amas d’eau surtout étaient l’objet de craintes auxquelles la désignation du Mont-Cenis donnée au tunnel prêtait une apparence de raison. Il y a en effet sur cette montagne un lac dont on aurait pu craindre de toucher le fond. Alors l’imagination avait beau jeu pour décrire l’immense désastre causé par l’invasion subite de cet amas d’eau,