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bientôt à sa vibration naturelle. Des lignes de ciseaux, indépendans entre eux, touchés alternativement par des doigts de fer, découpaient le front de taille par bandes parallèles qu’on abattait ensuite avec le pic, le levier ou les coins enfoncés dans les rainures, sans le secours de la poudre. L’aération des travaux s’accomplissait par le jeu de ventilateurs tournant avec les poulies.

La machine Maus excita des deux côtés des Alpes, en Savoie et en Piémont, un grand enthousiasme pendant les années 1846 et 1847. Charles-Albert allait la voir souvent fonctionner au Valdocco, près de Turin, où se faisaient les expériences. Il s’y rendait ordinairement en grand appareil, entouré d’un brillant état-major d’officiers-généraux et d’ingénieurs. Son esprit, longtemps comprimé et contenu par les intrigues de la camarilla catholique et autrichienne qui l’entourait, s’ouvrait alors aux grandes idées et aux grandes entreprises. La noble ambition d’illustrer son règne par l’abaissement des Alpes le séduisait. Dans ce pays, si profondément attaché à sa vieille dynastie, les goûts du prince deviennent facilement les goûts de la population. Les difficultés de la grande entreprise ne s’étaient pas encore révélées. Le roi crut tenir l’instrument qui allait percer le granit des Alpes, ouvrir le Piémont à la circulation européenne, et rattacher par un chemin grandiose le berceau de ses ancêtres au reste de ses états subalpins. La confiance royale fut aisément partagée. Le projet devint dès lors en quelque sorte populaire. Si les savans n’étaient pas d’accord sur l’efficacité de la machine perforatrice, il n’y avait alors aucun dissentiment sur le projet de percer les Alpes, et, dans les milieux où l’on ne pouvait se rendre compte des obstacles qu’on allait rencontrer, les imaginations allaient bon train : on voyait déjà les Alpes trouées de part en part, le grand courant du commerce et de l’industrie passant par cette trouée gigantesque et affluant dans la vallée du Pô pour arroser et féconder cette magnifique contrée.

Nous nous rappelons encore ces années qui ont précédé 1848. L’espérance était partout, la confiance illimitée; il y avait dans l’air comme une attente de grandes choses qui charmaient l’imagination. Et que n’était-il pas permis d’espérer, quand on voyait l’une des plus vieilles dynasties de l’Europe, et l’une des plus immobiles dans la tradition absolue, se mouvoir d’elle-même, avancer sans secousse, sans autre pression que l’amour de ses peuples et les besoins nouveaux de la société moderne! Charles-Albert préludait alors à la liberté politique par les réformes économiques : il abaissait les tarifs, abolissait la réglementation du moyen âge sur l’industrie de la soie, supprimait malgré l’opposition de Rome, qui déjà commençait à se dessiner, les stamenti de l’île de Sardaigne,