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longueur de 12,230 mètres. Cette pente continue, qui aurait obligé de recourir à des moyens mécaniques pour épuiser les eaux sur la moitié italienne du tunnel, a été habilement évitée dans le projet aujourd’hui en exécution : l’axe monte, du côté de Savoie, par une pente de 22m 20 par mille jusqu’au milieu de sa longueur, qui est le point culminant, et il redescend vers l’Italie par une pente presque insensible de 0m 50 par mille, suffisante néanmoins pour l’écoulement naturel des eaux intérieures. Par cette heureuse disposition, les deux points d’attaque sont garantis contre l’invasion des eaux, qui pourraient noyer les travaux, si elles n’avaient pas leur prompt débit. Le point que traverse le projet définitif n’est pas le Mont-Cenis, comme on le croit communément, mais il est à 20 kilomètres plus bas, dans le voisinage du Mont-Tabor, entre Modane et Bardonnèche. C’est donc une désignation impropre que celle de tunnel du Mont-Cenis donnée généralement à la trouée des Alpes.

Il n’est pas difficile de se figurer qu’un tunnel de 12 kilomètres de longueur et passant sous une voûte de 1,600 mètres d’épaisseur n’offre à l’attaque du mineur que deux points, savoir les deux extrémités. Il faut donc rejeter comme chimérique l’idée des puits pour aérer les travaux et pour multiplier les points d’attaque à travers cette voûte immense. La construction d’un seul de ces puits, d’après les calculs de M. Conte, ingénieur en chef du département de la Savoie, aurait duré quarante ans. Comment concevoir la possibilité de travailler au fond de cet abîme de plus de 1,000 mètres de profondeur? Et si l’on veut donner aux puits la direction oblique au lieu de la verticale, un seul aurait égalé en longueur la moitié du tunnel à perforer. Tous les moyens ordinaires de miner les galeries sont ici hors d’application, et aucun projet de percement des Alpes ne pouvait être considéré comme sérieux, s’il ne se présentait avec des moyens nouveaux d’aération et de perforation.

Le projet de M. Maus, le premier qui ait été pris en considération par le gouvernement sarde, se présenta en effet avec ces moyens nouveaux. Il empruntait la force que fournissent les Alpes elles-mêmes, la chute des torrens, force permanente, sans cesse renouvelée, éternelle comme les neiges et les glaciers où elle prend sa source. L’ingénieur belge l’utilisait pour faire mouvoir un mécanisme remarquable de perforation qui se composait, dans son organe essentiel, d’un câble continu, dévidant sans fin sur une série de poulies, dont la dernière, la plus rapprochée du front d’attaque, bandait par son mouvement de rotation, très habilement transformé, de puissans ressorts à boudin armés de ciseaux entaillant la roche. C’était un mécanisme analogue à celui de la boîte à musique, un arbre tournant sur son axe, qui agrafe le ressort et l’abandonne