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moderne et l’esprit des temps nouveaux l’indiquent enfin comme destinée à rapprocher les nations en facilitant le passage des invasions pacifiques de l’industrie et du commerce. C’est là que le bon sens d’un montagnard, habitant du village de Bardonnèche, a fixé depuis trente ans le point à traverser par un tunnel. En 1832, Joseph Médail (ce nom mérite d’être connu), entrepreneur de travaux publics, marqua, dans un projet communiqué à un général piémontais pour être transmis au roi Charles-Albert, l’endroit sur lequel sont venus depuis se concentrer tous les efforts, tous les projets des hommes de l’art. Médail parcourait dès lors, dominé par son idée fixe, les hauteurs des cols de Fréjus et de La Roue, notant les distances, relevant les plans et traçant avec ses instrumens rudimentaires de géomètre de campagne l’axe du grand tunnel qui, dans sa pensée, allait devenir la voie universelle de l’Orient et de l’Occident. Dans un autre projet qu’il communiqua en 1842 à la chambre d’agriculture et de commerce de Chambéry, il conduit son tracé de l’embouchure nord du tunnel à travers la Maurienne jusqu’au bassin de Chambéry; là, rencontrant la montagne de l’Epine, qui ferme la voie directe sur Lyon, il la perce par un nouveau tunnel et pousse sa ligne jusqu’à Saint-Genix sur la frontière française, appelant ainsi le système des voies ferrées du sud-est et du centre de la France à venir s’embrancher sur le sol savoyard pour se diriger de là sur la Suisse et l’Italie : beau projet qui mettait Chambéry aux portes de Lyon, mais qui a dû fléchir devant les convenances stratégiques du second empire quand il s’est agi en 1853 de le mettre à exécution. Devant l’opposition diplomatique de la France, le chemin de fer Victor-Emmanuel a dû s’incliner vers le nord, le long du lac du Bourget, éviter la ligne directe sur Lyon et rejoindre le réseau français à travers les défilés de Culoz et de la Valserine.

Des idées émises par Joseph Médail, il n’est resté que la désignation du massif à percer. Le premier projet sérieux est celui d’un ingénieur belge, M. Maus, qui s’était acquis une réputation presque européenne par la construction d’un appareil fort ingénieux de locomotion sur le plan incliné de Liège. Charles-Albert l’appela auprès de lui, le nomma inspecteur du génie en Piémont, et lui confia la mission d’étudier la question du percement des Alpes. Après quatre ans d’études en compagnie de l’ingénieur Rombaux et du naturaliste Sismonda, il indiqua comme le point le plus favorable au percement la section déjà désignée par Médail. D’après son projet, qui fut présenté à Charles-Albert dès 1845, l’axe du tunnel entrait dans le massif à Modane, à 1,150 mètres au-dessus du niveau de la mer, et en sortait de l’autre côté, à Bardonnèche, à 1,363 mètres, suivant une pente continue de 19 millimètres par mètre, avec une