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révoquée en doute, ainsi qu’on le verra, par un scepticisme plein d’épines. En outre, quand on en viendrait à tenir ces principes pour absolus, il reste à considérer que le maniement en est difficile, hasardeux, et la conclusion problématique. Il n’est pas clair qu’ils se prêtent à nos visées, et qu’ils nous mènent où nous tendons, où nous aspirons. C’est le moment de considérer les plus habiles en face de cette complication. Descartes et Clarke par exemple, dans leur effort pour s’élever à l’existence de Dieu en usant du principe de causalité.

Nous trouvons en nous, dit Descartes dans la troisième de ses Méditations métaphysiques l’idée de perfection, qui ne peut venir de nous, imparfaits que nous sommes. Donc cette idée atteste l’existence d’un être parfait : autrement elle serait un effet sans cause. Descartes oublie une cause d’idée, telle que l’esprit qui a pu composer cette idée de perfection, — idée complexe, notez bien ceci, — une de ces idées que notre intelligence construit à ses risques, en assemblant et en exagérant toutes les qualités qui sont éparses et médiocres parmi l’humanité. Ainsi cette prétendue idée d’un être parfait, au lieu d’être en nous, comme dit Descartes, la marque de l’ouvrier sur son œuvre, pourrait n’être autre chose qu’un produit humain tiré de l’homme, calqué sur l’homme. Ce serait l’humanité et rien de plus, dans des proportions exagérées et fabuleuses, se servant d’elle-même pour expliquer la création, la Providence, l’ordre immortel. Telle est la démonstration tentée par Descartes, demeurée célèbre entre toutes, dit M. Cousin : célèbre, soit; mais la trouvez-vous solide, convaincante ?

Quant à Clarke, la proposition sur laquelle il prétend fonder toute sa preuve de Dieu est celle-ci : quelque chose doit avoir existé de toute éternité, autrement quelque chose aurait commencé d’être sans y être sollicité par rien, c’est-à-dire que ce quelque chose serait un effet sans cause. Soit, voilà un principe bien articulé, mais qui ne nous mène pas loin, qui laisse son docteur en chemin dès la deuxième proposition, où il s’agit de savoir qui a existé de toute éternité. Est-ce un Dieu personnel, distinct du monde, créateur tout-puissant et revêtu de toutes les perfections morales? ou bien est-ce l’ensemble des êtres, des forces et des lois qui constituent l’univers? Assurément une horloge suppose un horloger, à moins toutefois que l’horloge n’ait existé de tout temps!... Alors nous voilà en plein panthéisme; si vous en doutez, écoutez plutôt les panthéistes eux-mêmes. « Le monde a son législateur, vous diront-ils, dans les lois qui le gouvernent de toute éternité. Au nombre de ces lois figure l’harmonie universelle des rapports. Ces lois arrivent dans la conscience de l’homme à une certaine notion d’elles--