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ger ! Quoi! le christianisme, tout frémissant des promesses et des menaces d’une autre vie, n’en aurait rien trouvé dans le judaïsme, d’où il procède? Ce n’est pas ainsi vraiment que marchent les choses, et surtout les idées. La tradition, la continuité sont partout en même temps que le progrès. Ces raisons a priori sont ce qui me touche le plus; mais, si des argumens de texte vous semblaient préférables, il me suffirait de rappeler que Moïse défendait l’évocation des morts, ce qui prouve que dans le dogme juif les morts n’étaient pas anéantis. Le commandement de Moïse n’était, direz-vous, que pour combattre une superstition. Soit; mais la superstition même établit la croyance dont elle est l’excès et la perversion. Il existe là-dessus de grosses dissertations, et je pourrais citer tel livre fort bien fait[1] où l’on voit que Bossuet et Leibnitz croyaient reconnaître parmi les Juifs le dogme de l’immortalité de l’âme, qu’ils étaient même fort affirmatifs à cet égard. Faut-il d’ailleurs chercher si loin ? Les Juifs étaient libres en cette grande affaire de la religion, où leur génie excellait et se passionnait : cela explique tout. La religion se faisait parmi les Juifs comme une œuvre nationale, avec le concours de tous, dans la personne des prophètes, qui apparaissent comme les gardiens ou plutôt comme les interprètes progressifs de la loi, portés par la faveur populaire jusqu’à l’oreille des rois et des grands-prêtres. Que dans cette liberté il y ait eu des doctrines successives et diverses, cela n’est pas bien surprenant. De là peut-être quelques doutes, quelques hérésies au sujet de la vie future; mais l’hérésie d’une secte juive, pas plus que le panthéisme des Allemands, pas plus que le célibat des vestales, ne prouve rien contre les instincts naturels de l’humanité.

En tout ceci, vous n’avez pas encore vu certain argument qui se tire des prospérités du coquin, des disgrâces et même des souffrances de l’honnête homme : argument en faveur d’une autre vie, laquelle semble nécessaire pour corriger quelque part cette iniquité, cette anomalie terrestre. On n’a pas usé de cette preuve, parce qu’on n’en croit pas le premier mot, encore qu’on l’ait rencontrée dans un livre, l’Idée de Dieu, où l’élégance et la clarté sont portées à un point qui en fait des qualités du premier ordre, des qualités égales à l’invention et à la moquerie. On rend toute justice à ce beau sujet d’amplification; mais voilà tout. Que savez-vous en effet de ces prospérités et de ces souffrances? Vous ne savez que l’apparence, la surface, l’événement matériel; mais le fond des choses ou plutôt des âmes, l’avez-vous pénétré? L’impression de l’événement, la manière dont il est reçu dans le for intérieur du

  1. De la Vie future, par M. Henri Martin, doyen de la faculté de Rennes.