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ce cas particulier, et que cette loi de notre nature manque de la stabilité inhérente à toute loi naturelle.

Maintenant j’avoue qu’il faut jeter les yeux sur certaines objections secondaires après avoir fait justice de celle qui attribuait l’erreur et le mensonge à notre nature, comme son élément, comme sa nécessité. On pourrait me dire par exemple que l’instinct religieux n’est pas à confondre avec les autres instincts, qu’il n’en a pas l’autorité, parce qu’il n’a pas pour lui le témoignage de l’expérience, que nous savons par expérience l’homme impossible en dehors de la société, la société impossible sans un organe public de la justice, la vie impossible sans certaines réfections qui l’entretiennent, — que nous pouvons constater par leurs effets le mérite des instincts, la réalité des choses et des actes où ils nous portent, mais que nul n’est revenu pour porter témoignage en faveur de l’instinct religieux et pour attester cette autre vie dont il est la promesse ou la menace.

Cette objection est spécieuse, et rien de plus. Que l’expérience en général confirme les instincts, cela est évident; mais l’expérience n’est pas ce qui les suscite en nous, ce qui détermine la foi et l’obéissance que nous y portons. Dites-moi donc un peu en vertu de quelle expérience l’enfant qui vient de naître prend le sein de sa mère ! Pour peu qu’on y réfléchisse, on s’aperçoit qu’il en est ainsi des autres instincts : véridiques et utiles à l’homme, ce n’est pas pour cela qu’ils s’en font écouter; leur force est ailleurs, indépendante de l’utilité de ces instincts, de notre vérification. Ils seraient malfaisans qu’ils ne cesseraient pas d’être puissans et obéis. La preuve, c’est que nous en abusons volontiers, à notre grand préjudice, d’où il faut conclure que si tel instinct ne peut produire ce témoignage de l’expérience, nous n’avons pas pour cela un droit de suspicion et de défiance à son égard. L’instinct religieux en est là, non expérimenté sans doute, mais impérieux et vrai au même titre que les autres instincts.

Vous soupçonnez peut-être que nous avons l’idée d’une autre vie uniquement parce qu’elle est de nature à nous plaire. — C’est par là, dites-vous, qu’elle est spontanée, universelle, immémoriale parmi les hommes. — Mais prenez garde que le plaisir est le trait saillant qui constate les instincts, le signe de la vérité relative qui est en eux, la force gardienne et exécutive, pour ainsi dire, des fins auxquelles ils sont préposés. Il n’est point d’instinct sans cette garantie du plaisir, qui en assure l’exercice, et l’idée d’une autre vie est par là semblable à tous les instincts.

Pourquoi d’ailleurs une idée nous plaît-elle? Parce qu’elle ressemble à ce qui est. Comment le faux, c’est-à-dire le néant, aurait-il le don de nous plaire? La réalité est ce qui fait le charme des