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et absolue, atteignant partout en dehors de lui les êtres et les choses, pénétrant leur essence, leur cause et leur destination, mais pour la vérité relative à son être, c’est-à-dire à ses besoins de toute sorte, la vérité qui le concerne et l’intéresse. Cela revient à dire que l’homme est fait pour être. Que ce monde ait au-dessus de lui les regards et les décrets d’un Dieu (qui ne saurait être un Dieu trompeur), ou qu’il ait seulement des lois pour le gouverner, en tout cas il est plein de vie, c’est-à-dire de vérité. Et quand il vous plaît de supposer que le plus grand, le plus vivant des êtres connus est fait pour l’erreur, vous abusez du langage : autant dire qu’il est fait pour le néant. « La vérité est ce qui est, » dit Bossuet : voilà la définition qu’il faut avoir présente à l’esprit en ce sujet. Quant à saint Thomas d’Aquin, définissant la vérité une équation entre une affirmation et son objet, on sent bien qu’il s’agit là seulement de la vérité dans le discours; or je conviens que le discours humain n’est pas toujours au niveau de son sujet, qu’il se met fort à l’aise avec les choses et les personnes.

À cela près (un point sur lequel on reviendra bientôt, on ne peut pas tout dire à la fois), à cela près, rien n’établit, rien même n’insinue que nous soyons des êtres dont la loi est de se tromper. Nos sens, nos appétits, notre conscience, notre sociabilité, ne nous trompent pas; il me semble que nous ne sommes pas dupes à tout propos d’une vaste illusion quand nous croyons à nous-mêmes sur la foi de notre pensée, au monde extérieur sur la foi de nos sens, au droit du prochain sur la foi de notre conscience, à tout ce qui entretient la vie physique sur la foi de nos appétits. Ces impulsions, ces lumières d’un ordre si différent, nous disent chacune la vérité, en ce sens que nous sommes faits pour y croire, et à tel point que, cessant d’y obéir, nous cesserions d’être comme individu et comme société.

À ces révélations j’ajoute et j’assimile de tout point l’instinct religieux, qui nous fait concevoir une autre vie, qui nous représente le moi comme persistant après la mort pour être puni ou récompensé. Parmi les idées qui nous font ce que nous sommes, celle-ci est capitale; remarquez un peu comme elle suffit à tout, répond à tout, et ne bronche nulle part. En effet, on y trouve d’un côté toute la sanction imaginable des plus grands commandemens, tout ce que l’homme peut rêver de grandeur et de noblesse. D’un autre côté, c’est une idée purement relative à nous-mêmes : en affirmant quelque chose à cet égard, on ne sort pas du cercle des choses humaines, personnelles, subjectives, comme disent les Allemands; on n’a pas besoin d’énoncer un principe absolu, législateur de toutes les existences, ni une existence suprême de justicier fondée sur un