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la faculté de vivre dans le présent, de vous y concentrer, de vous y absorber, corps et âme. Soyez donc plus justes envers la science et envers vous-mêmes. Quand la science se tait sur les choses d’avenir et d’éternité, elle ne vous prive de rien, ne vous borne en rien; vos limites de ce côté sont en vous-mêmes, et la preuve en est dans le peu qu’obtiennent de vous les religions, prodigues néanmoins de commandemens et de terreurs.

Ce langage est spécieux et brutal, mais erroné. Quand la philosophie positive raisonne ainsi, faisant main basse sur toute grande aspiration, nous en déclarant incapables et même insoucians, elle ne pèche pas moins contre les instincts les plus réels de l’humanité que la théologie et la métaphysique, muettes ou hostiles à l’égard des droits de l’homme et du citoyen. La science d’une part, la théologie et la métaphysique de l’autre, constituent deux ordres de connaissances et de poursuites également nécessaires au monde, et l’on se demande où elles ont pu prendre tout le mépris qu’elles se témoignent. Toutefois il ne faut pas charger indûment la philosophie positive. Elle n’est ni scepticisme, ni sarcasme, ni démenti à l’égard de ce que beaucoup ont en vénération. Elle ne nie pas les grands sujets qui peuvent tenter la pensée ou l’imagination humaine. C’est le cas de faire voir comment M. Littré s’en explique : « L’espace sans bornes, l’enchaînement des causes sans terme, est absolument inaccessible à l’esprit humain ; mais inaccessible ne veut pas dire nul ou non existant. L’immensité tant matérielle qu’intellectuelle tient par un lien étroit à nos connaissances, et ne devient que par cette alliance une idée positive et du même ordre : je veux dire que, en les touchant et en les bordant, cette immensité apparaît sous un double caractère, la réalité et l’inaccessibilité. C’est un océan qui vient battre notre rive, et pour lequel nous n’avons ni barque, ni voile, mais dont la claire vision est aussi salutaire que formidable. » Toutefois la philosophie positive n’en attente pas moins aux légitimes curiosités de notre esprit, car elle est ignorance et insouciance systématique à l’égard de telle grande chose que nous voulons et que nous pouvons connaître. Notez ces deux points-ci, je n’en rabats rien, et je vais droit à cette proposition : — que nous portons en nous la notion authentique d’une autre vie; nous savons cela, dis-je, de la même manière que nous savons tout ce qui importe à notre vie actuelle, soit physique, soit morale.


I.

Voici à ce sujet mes raisons de croire et d’affirmer. — L’homme est fait pour la vérité, non pas sans doute pour la vérité universelle