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blème dont je fais partie apparemment, est ce qui m’attire par-dessus tout. J’aime mieux conjecturer là-dessus, où il s’agit pour moi de si grands intérêts, que de savoir avec vous, par raison démonstrative, certaines choses qui me paraissent secondaires, missiez-vous dans le nombre le culte de l’humanité, le secret des lois et des destinées sociales. Non, vous ne m’ôterez pas de l’esprit les appréhensions, les curiosités d’outre-tombe. Je ne vous dirai pas : « Que m’importe l’humanité? » mais une certaine pudeur est tout ce qui m’en empêche. Au fond, ma grande affaire, c’est moi, c’est ce qui m’attend, machine toute brûlante d’idées et de passions, à l’heure où certains organes cesseront le service de la machine. Être ou n’être pas, cela est de la dernière gravité. Je me passerais plutôt de chimie et de géométrie que de cette contemplation et des espérances, des rêves, si vous voulez, qui s’y rattachent. Me disputer ce rêve, ce n’est pas me remettre à ma place, c’est me dégrader, car je ne suis pas seulement un animal politique, je suis avant tout un animal religieux, ainsi que le professent certains naturalistes. « La véritable solidité d’esprit, dit Fénelon, est de s’enquérir des choses qui se passent journellement autour de nous. » Soit; mais la grandeur de l’esprit est de s’informer des choses supérieures, futures, éternelles peut-être. En tout cas, grande ou chimérique, telle est la nature de mon esprit. Je puis passer ma vie à ignorer les sciences dont je profite, mais non dans l’oubli de certain sommeil, ou, comme dit Shakspeare, de certain réveil qui m’attend un jour ou l’autre. C’est pourquoi vous ne me remplirez jamais l’esprit. Vous êtes sans doute plus que je ne peux apprendre, mais moins que je ne veux connaître.

Tandis que l’homme s’exalte et se révolte ainsi, la philosophie positive fait effort soit pour se grandir aux yeux de l’homme, soit pour le rabaisser dans sa propre estime. Elle fait valoir d’abord qu’elle est la science de la nature, de l’homme et de l’histoire, par où elle est en état de diriger les individus et les sociétés, de les conduire au progrès dont elle a reconnu les traces et les procédés. Tels sont ses services et ses révélations à l’usage du présent. Quant à l’avenir, elle ne sait rien de la persistance éternelle des individus; mais en mettant les choses au pis, et par la grâce de cette loi de progrès, elle n’admet pas qu’ils meurent tout entiers. — Votre esprit, leur dit-elle, ne sera pas plus perdu que votre corps. Ce que vous avez eu d’esprit, ce que vous avez produit d’idées ou de sentimens, ira grossir le trésor spirituel de l’humanité, absolument comme votre corps ira grossir et féconder la matière. De même que vous vivez du passé, l’avenir vivra de vous, intellectuellement et matériellement. C’est ainsi que vous survivez, que vous persistez, et cette