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tour produira sur nous une impression d’autant plus sûre qu’il aura plus scrupuleusement évité d’en délayer les élémens et plus sobrement résumé en quelques traits caractéristiques la physionomie compliquée ou les apparences démesurées de son sujet.

Le paysage, tel que l’a compris et pratiqué Calame, a ce défaut de prétendre tout embrasser et tout dire, même l’incommensurable, même l’indicible, au lieu de s’appliquer seulement à la représentation de certaines vérités saillantes et strictement conformes aux ressources de la langue pittoresque. Il a aussi ce danger d’exposer le talent à se dépenser dans des entreprises dont les résultats seront plus propres à étonner le regard qu’à l’intéresser au beau et à lui en révéler les secrets. Voilà pourquoi, malgré les aspirations élevées et l’habileté considérable qu’ils attestent, les tableaux du peintre genevois n’ont le plus souvent qu’une valeur relative et des mérites insuffisans. N’insistons pas au surplus sur les imperfections ou les périls des théories qui avaient séduit Calame, sur certaines difficultés insurmontables de la tâche qu’il s’était imposée. Le moment ne nous semble pas bon pour cela. Maintenant qu’une étrange esthétique travaille à expliquer le beau par l’expression éhontée de la foi matérialiste et le talent par la perception irréfléchie du fait, ce serait favoriser malgré soi les progrès de ces tristes erreurs, ce serait presque s’en faire le complice que d’accuser trop sévèrement la doctrine et la méthode contraires, même dans ce qu’elles peuvent avoir d’excessif. Si les ambitions de Calame ont, quant à l’application, dépassé quelque peu la limite des audaces permises, si le peintre des gigantesques solitudes de la Handeck et du Mont-Blanc s’est laissé aller à confondre parfois avec les scènes faites pour encourager le pinceau les merveilles qui le déconcertent par l’immensité des proportions, ces efforts imprudens ou ces méprises n’en avaient pas moins pour point de départ une croyance noble en soi, un ardent amour de la nature et de l’art dans leur signification idéale. Il n’y a donc que justice à saluer d’aussi respectables convictions, lors même qu’elles ne réussissent pas complètement à rencontrer leur exacte formule, lors même qu’elles se laissent deviner, comme ici, sous des apparences tantôt incomplètes, tantôt confuses, à force de confiance du peintre dans son art et dans les beautés mêmes qu’il n’a pas le pouvoir d’exprimer. C’est principalement en pareil cas qu’il convient d’apprécier le caractère des intentions, et, pour un artiste après tout, l’honneur est plus sérieux d’avoir entrevu et décrit quelque chose de la majesté infinie que d’avoir su rendre en perfection, mais avec une perfection servile, les détails de la vérité palpable et les muettes apparences de la réalité.


HENRI DELABORDE.