Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis la Vue de la vallée d’Anzasca, achetée pour la maison du roi en 1841, jusqu’au Lac des Quatre-Cantons, acquis par l’empereur à la suite de l’exposition universelle de 1855, — la dernière à laquelle le peintre genevois ait pris part dans notre pays, — plusieurs ornent aujourd’hui des habitations particulières. Nous citerons, entre autres, un Paysage appartenant à Mme Jameson, morceau d’une facture un peu pesante, mais d’une belle ordonnance, — une jolie Vue du lac de Lucerne, à M. Théodore Vernes, — et surtout une toile (peinte aussi pour un des membres de la famille Vernes) représentant une Vue du Mont-Blanc, prise des hauteurs entre Genève et Lausanne. Dans les premiers plans de ce tableau, il est vrai, quelque chose se retrouve des défauts ordinaires de Calame. Un groupe d’arbres à droite est traité avec une certaine dureté dans le ton, avec une certaine mesquinerie de pinceau; les terrains enveloppés d’ombre qui s’étendent parallèlement à la base du tableau ne sont exempts ni de sécheresse au point de vue de l’exécution, ni de lourdeur sous le rapport du coloris. En revanche, toute la partie qui apparaît de l’autre côté du lac de Genève, c’est-à-dire la chaîne des montagnes entourant le Mont-Blanc, et éclairées par les rayons du soleil couchant, est modelée avec une ampleur et coloriée avec une souplesse dont on trouverait difficilement dans les autres travaux du peintre des témoignages aussi concluans. Si l’Orage à la Handeck du musée de Genève et le Mont-Rose du musée de Neufchâtel peuvent être regardés comme les spécimens principaux du talent de Calame dans l’ordre des sujets terribles ou des scènes compliquées, la Vue du Mont-Blanc mérite d’être proposée comme le meilleur exemple des inspirations sereines qu’il est arrivé parfois à ce talent de rencontrer.

Un autre tableau également à Paris[1] et très propre aussi à donner la mesure des aptitudes et de l’habileté de Calame est celui où il a représenté le Wetterhorn, une des plus hautes montagnes de la chaîne des alpes bernoises. Dans cette œuvre peinte en 1863, et la dernière que l’artiste ait signée, l’exécution matérielle a une aisance et une fermeté qui, loin de faire pressentir la décadence, attestent plutôt les progrès du talent. L’effet, triste suivant la coutume, le coloris, plombé comme dans la plupart des tableaux précédens, sont du moins en exacte harmonie avec les caractères de la scène, avec la poésie lugubre que respirent ces montagnes dénudées, ces lieux où rien ne vit que quelques arbres rabougris et quelques mousses malingres. Au fond s’élève le Wetterhorn, dont les aiguilles semblent sortir d’un océan de neige pour aller déchirer les sombres nuages que l’orage est venu amonceler autour d’elles et en ar-

  1. Cette toile a été envoyée de Genève pour figurer dans la vente prochaine des tableaux et des études qu’a laissés Calame et appartenant à sa famille.