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ferme résolution d’obtenir le reste, ce qui manquait encore ne ferait pas longtemps défaut. Un moment vint pourtant où la volonté ne suffit plus. Privé d’un œil dès sa jeunesse et à la suite d’un accident, Calame avait pu lutter victorieusement contre les obstacles insurmontables en apparence qu’une pareille infirmité oppose au développement du talent, sinon même aux travaux d’un peintre; il avait, au mépris des fatigues ou de la maladie, réussi à produire plusieurs centaines d’œuvres dans un espace de temps qu’un artiste valide eût jugé trop court pour en accomplir la moitié. Tout ce que l’énergie morale peut soumettre des résistances de la complexion, il l’avait combattu sans relâche et à peu près réduit pendant quelques années; mais la nature finit par se venger de cette contrainte, de cette domination à outrance. Une maladie de poitrine étant venue achever la ruine de forces presque complètement épuisées déjà, Calame, âgé de cinquante-quatre ans, expirait le 17 mars 1864 à Menton, où sa famille l’avait conduit dans l’espoir d’une guérison à laquelle lui-même ne croyait plus bien avant le jour où il quittait pour jamais son pays[1].

Dans les dernières années, Calame avait cessé d’envoyer ses tableaux aux expositions publiques, non pas que son talent eût faibli ou que l’activité de son pinceau se fût ralentie, mais parce que l’amère douleur qu’il éprouvait de la perte de trois enfans lui avait inspiré le besoin d’une retraite absolue en même temps que celui d’une vie plus studieuse que jamais. Peut-être aussi l’injustice ou la vivacité de certaines attaques ne fut-elle pas sans influence sur la détermination qu’il prit de dérober désormais ses œuvres à la publicité. Très sensible de tout temps aux éloges ou au blâme, Calame en effet était devenu, en matière de critique, d’une extrême susceptibilité, bien que, de son côté, il ne se fît pas faute de malmener quelque peu les adversaires de ses opinions, témoin ce passage d’une lettre, écrite en 1856 et depuis lors imprimée, à l’adresse de ceux qui ne travaillaient, selon lui, qu’à « propager des théories de l’autre monde, imaginées par des esprits d’une autre planète, théories que l’on publie à son de trompe, ni plus ni moins que les édits des empereurs. » Quoi qu’il en soit, si Calame ne rechercha plus les occasions de succès publics, si le bruit ne se fit plus autour de ses tableaux, comme à l’époque où il exposait cette Vue du Mont-Rose, conservée aujourd’hui au musée de Neufchâtel, et qu’il dut répéter jusqu’à quatre fois en réponse à des sollicitations qu’on lui

  1. Calame pressentait sa fin dès l’été de 1863, à l’époque où il faisait dans la haute région des Alpes un voyage qui devait être en effet le dernier. Une des études qu’il peignit alors porte inscrits sur le dos de la toile quelques vers touchans dans lesquels l’artiste adresse ses adieux à la nature qu’il est venu revoir, à ces chers modèles qui l’avaient si souvent inspiré.