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son maître aient contribué à lui épargner les recherches ou les incertitudes, cela est probable. Ces secours toutefois furent promptement mis à profit, ces exemples bien vite dépassés. Dès ses débuts publics, Calame avait réussi à s’élever au premier rang, à définir nettement son programme, à faire pressentir en un mot l’objet et les mérites de ses travaux futurs par les caractères mêmes de ses travaux actuels.

Une toile conservée aujourd’hui dans le musée de Genève et autrefois exposée à Paris (Salon de 1839), l’Orage à la Handeck, montre assez quelles franches intentions de réforme animaient le jeune peintre il y a près de trente ans, avec quel zèle il entreprenait de démentir le passé et d’installer la foi nouvelle sur les ruines du vieux dogme pittoresque. Que subsiste-t-il ici des mièvreries pastorales de l’autre siècle? Qu’y a-t-il de commun entre l’aspect de cette nature en désordre, de cette végétation tourmentée et comme éperdue sous la tempête, et la régularité compassée, la symétrie placide des plans et des horizons dans les paysages peints en Suisse, même depuis de La Rive? Qu’on ne s’exagère pas pourtant l’audace des innovations introduites par Calame. Si, par le caractère du site et le choix de l’effet, l’Orage à la Handeck atteste chez celui qui l’a représenté la volonté formelle de ne reculer ni devant le mouvement convulsif des lignes, ni devant les proportions immenses d’objets plus propres peut-être à défrayer l’habileté d’un peintre de panoramas que l’art d’un peintre de tableaux, les moyens d’exécution employés pour rendre cette scène de violence expriment l’assiduité bien plutôt que la verve, l’étude et le soin des parties accessoires au moins autant que la préoccupation de l’ensemble.

En ce qui concerne le dessin et le modelé, la touche, les particularités même du faire, la manière de Calame ne rappelle rien, tant s’en faut, des entraînemens pittoresques et de la pratique impétueuse d’un Salvator Rosa. Elle ne se ressent pas davantage de certains progrès accomplis par nos paysagistes modernes dans le sens de la souplesse et de l’ampleur. Aussi ne saurait-on, sans préjudice pour cette manière un peu grêle, en rapprocher les spécimens des œuvres que nous avons vues se succéder depuis les paysages d’Orient si largement peints par Marilhat jusqu’aux toiles où le pinceau de M. Français se montre si délicat, mais d’une délicatesse sans minutie. Contraste singulier : pour traiter des sujets majestueux jusqu’à l’apparat, pour rendre la grandeur à outrance, Calame, a recours à des procédés que justifieraient à peine des thèmes d’une portée restreinte et d’un caractère inhérent à la précision des détails. C’est par ces habitudes de fidélité rigoureuse dans la pratique, par cette patience de l’outil et de la main, qu’il se rattache aux inclinations et aux coutumes de l’esprit national; c’est ainsi