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un accident franchement imprévu, une forme, si vraie qu’elle fût, sans consécration classique, sans un précédent quelconque dans les œuvres qu’il avait étudiées. N’importe : de La Rive avait eu le mérite de débarrasser en partie le paysage de l’attirail pédantesque et des ornemens mensongers sous lesquels l’ait en Suisse disparaissait pour ne laisser de place et de rôle qu’à l’artificiel. Encore un effort dans le même sens, encore un pas pour s’éloigner d’un purisme aussi suranné que factice, et la voie que Calame devait parcourir était, sinon ouverte, au moins assez sûrement pressentie pour qu’on en pût reconnaître déjà les entours et les abords.

Il était réservé à Töpffer, le père de l’auteur si connu des Nouvelles genevoises et des Menus Propos, de préparer, d’assurer même ce progrès décisif. Plus ingénument inspiré que de La Rive, de qui il avait été l’élève, plus hardi aussi et plus spirituellement habile dans le choix comme dans l’interprétation de ses modèles, Töpffer est de tous les peintres suisses antérieurs à notre époque celui qui a le moins sacrifié à l’esprit de système, le moins servilement accepté le joug des traditions et des écoles. Il y a de l’originalité, un mélange particulier de bon sens et de verve, comme un parfum du terroir, dans ces nombreuses scènes familières où le peintre nous montre une Noce de village, une Sortie de l’église un groupe de Paysans se rendant au marché, d’autres épisodes encore, tantôt joyeux, tantôt à demi satiriques ou délicatement attendrissans, de la vie des hameaux et des montagnes. Avec moins de science, il est vrai, avec moins de précision dans le faire, les tableaux de Töpffer ont quelque chose des intentions fines que, de nos jours, M. Knaus a si bien réussi à exprimer, sauf cette différence pourtant qu’à force de prétendre intéresser l’intelligence, le peintre de Wiesbaden ne laisse pas d’e lui imposer trop souvent une certaine fatigue, tandis que le peintre de Genève la séduit tout d’abord par le franc exposé des faits, par le caractère simplement vraisemblable des choses.

A ne considérer les œuvres de Töpffer qu’à titre de paysages, et sans le surcroît de valeur qu’elles empruntent au rôle qu’y jouent les figures, elles méritent, il faut le redire, d’occuper une place en dehors et au-dessus des ouvrages du même genre produits en Suisse vers la fin du dernier siècle ou au commencement de celui-ci. Sans doute on serait mal venu à y chercher l’accent de la grandeur, l’empreinte d’un sentiment puissant qui d’ailleurs n’eût guère été de mise dans l’ordre de sujets choisi et devant les modèles qu’il s’agissait de reproduire. En revanche, on y reconnaîtra facilement les témoignages d’un goût à la fois ingénieux et naïf, la volonté et le pouvoir chez le peintre d’étudier de près la nature, d’en rendre les aspects familiers sans ostentation de véracité comme sans fausse honte, la faculté enfin de garder exactement la mesure entre les