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rustique ou de fontaine, force bocages peuplés de sylvains et de dryades, force ruisseaux au bord desquels Apollon poursuit Daphné; de là aussi ces Lettres sur le Paysage écrites par Gessner en manière de profession de foi, et pour résumer, avec les principes qui l’avaient guidé, les enseignemens les plus profitables aux jeunes artistes. Or quels exemples conseille-t-il à ceux-ci d’interroger? quels modèles leur propose-t-il? Les tableaux des maîtres, il est vrai, mais surtout les descriptions des poètes. « Que je plains, s’écrie-t-il, que je plains le paysagiste insensible que les chants de Thompson ne peuvent inspirer! On pourrait transporter sur la toile et réaliser ce qu’il décrit dans ses scènes variées. » Et, en parlant d’un autre poète, l’Allemand Brockes, dont il recommande aussi à la peinture de traduire littéralement les vers, il ajoute : « Une plante couverte de rosée et vivement éclairée par le soleil, un oiseau inquiet du sort de ses petits, excitaient dans son âme l’enthousiasme ou la pitié. » A merveille! mais le paysagiste « sensible » ne recevra-t-il pas de meilleures leçons encore, s’il les demande directement à la nature, si, au lieu de s’enquérir d’abord des émotions d’autrui à propos d’une plante que le soleil illumine ou d’un oiseau qui passe, il commence par se demander à lui-même ce qu’il éprouve en face d’un pareil spectacle? L’art de peindre, tel que l’entendait Gessner, tel qu’il le pratiquait ou qu’on le pratiquait autour de lui, n’était donc en réalité qu’une des formes de l’érudition littéraire. Rien de moins naïf que ces dehors apprêtés de la naïveté, de moins simple que cette simplicité d’emprunt, que ces images d’autres images et ces traductions de seconde main ; rien non plus qui satisfasse moins aux strictes exigences pittoresques et qui, sous le prétexte d’épurer la vérité, n’arrive plus complètement à en fausser le sens, à en farder les termes et l’aspect.

Cependant, vers la fin du XVIIIe siècle, un peintre genevois, de La Rive, essayait de restituer à l’art du paysage quelque chose de ses conditions nécessaires, de représenter avec une certaine sincérité les apparences naturelles d’un bois ou d’une prairie. De La Rive toutefois avait séjourné longtemps en Italie; il y avait cherché les moyens de développer son talent en consultant les tableaux des musées plus assidûment encore que la campagne. Aussi, lorsque après son retour dans son pays il voulut rendre les scènes rustiques ou les sites qui l’environnaient, demeura-t-il, malgré lui, un peu trop préoccupé de ses souvenirs et des règles de composition qu’il s’était faites ailleurs. Il osa bien peindre des clairières sans les meubler, suivant l’usage, de termes et d’autels antiques, il ne craignit pas de remplacer sur les bords d’un étang le cygne de Léda par des canards, et Léda elle-même par une vachère; mais il n’aurait eu garde, dans l’ordonnance des lignes et des plans, d’admettre