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position. A moins que Dieu n’y mette la main, il ne s’agit plus pour moi de caresser de chimériques projets d’avenir ici-bas, mais bien de mettre le peu de forces qui me restent à la recherche de la seule chose nécessaire, et d’en faire l’unique objet de mes pensées. Je ne voudrais pourtant pas vous laisser croire que je me tiens pour définitivement condamné. Non, j’espère toujours. Malgré mes souffrances, j’aime la vie, je demande à Dieu de me la conserver; mais je puise dans la ferme assurance de sa miséricordieuse sagesse la certitude entière qu’il disposera de moi pour le plus grand bien de mon âme, de ma chère compagne et des enfans qu’il m’a donnés. Celui qui mesure le vent aux petits agneaux mesurera l’épreuve à la force de mes bien-aimés. Cette pensée me console de tout. » On connaît maintenant la trempe morale et le caractère de l’homme. Jusqu’à quel point les œuvres de l’artiste reflètent-elles ces inclinations ou ces coutumes? Quels sont les mérites et la physionomie de son talent? en quoi diffère-t-il des talens que nous avons vus se développer ailleurs, et surtout de ceux qui l’ont précédé dans le pays où il s’est produit? C’est ce qu’il reste à examiner.

Avant notre siècle, l’école suisse de peinture, à vrai dire, n’existait pas. Aujourd’hui même, si l’on peut, à la suite des noms de Léopold Robert et de M. Charles Gleyre, citer les noms de plusieurs peintres distingués nés en Suisse, — ceux entre autres de M. Lugardon, des frères Girardet, de M. van Muyden, — ce petit groupe d’artistes en communauté d’origine, mais isolés les uns des autres par la diversité des doctrines qu’ils professent ou des enseignemens qu’ils ont reçus, est plutôt un ensemble de talens individuels qu’une école. M. Lugardon, de Genève, un des rares peintres d’histoire de son pays, a étudié à Paris dans l’atelier de Gros, et plus tard dans l’atelier de M. Ingres. Sa manière correcte, mais un peu froide, sa pensée habituellement élevée, mais souvent aussi dépourvue dans l’expression de précision et de finesse, n’ont rien de commun assurément avec les intentions et le faire, délicats parfois jusqu’à la subtilité, qui caractérisent les petites scènes italiennes dues au pinceau de M. van Muyden. On croirait que celui-ci, peintre éminemment spirituel, mais trop préoccupé du désir de se montrer tel, se défie de ce qui est simple autant que de ce qui est vulgaire. Comme son compatriote Rodolphe Töpffer dans l’ordre littéraire, il ne consent à exprimer le vrai qu’à la condition d’en aiguiser à tout propos le sens et les termes, de raffiner sur toutes choses, de choisir, pour persuader notre intelligence, ou les voies détournées d’une allusion, ou les formes sommaires et ambiguës d’une énigme. M. van Muyden d’ailleurs, ancien élève du peintre allemand Kaulbach et depuis longtemps fixé à Rome, n’appartient guère à la Suisse que par le lieu de sa naissance. C’est ce qu’on peut dire aussi de M. Girardet,