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épreuves et les courageuses vertus de la jeunesse, les habitudes recueillies de l’âge mûr, la dignité de la vie tout entière, la distance cesse, à beaucoup près, d’être aussi grande. Comme le maître français, le peintre genevois ne connut, en dehors de l’art, que deux passions : l’amour pieux du devoir et l’amour de la famille. Une fois en possession du succès, il sut comme lui résister aux séductions de tout genre qui environnent les artistes devenus célèbres, dérober sa personne aux applaudissemens qui accueillaient chacun de ses travaux, et se confirmer de plus en plus, se continuer, pour ainsi dire, dans le respect de son passé, dans ses affections, dans sa foi.

Lorsque, vers la fin de sa vie, Calame interrogeait les années écoulées, il y retrouvait bien moins la mémoire et l’orgueil de ses conquêtes personnelles que les occasions de saluer et de bénir les influences bienfaisantes qui s’étaient exercées sur lui. Se rappelle-t-il par exemple ce qui advint du premier tableau qu’il exposa, — un paysage envoyé à Zurich et acquis par la Société des Arts de cette ville pour la modique somme de 140 francs, — il se souvient surtout de la joie que cet humble succès avait donnée alors à sa mère, et c’est à la tendresse, à la sainte protection de celle-ci, qu’il attribuera, plutôt qu’à son propre mérite, tous les avantages, tous les biens qui ont suivi. « Quelles actions de grâces, écrit-il dans ces notes dont nous avons déjà transcrit quelques lignes, quelles prières elle adressa à Dieu pour son enfant bien-aimé ! chère et excellente mère, tes prières sont montées au ciel, elles sont redescendues sur moi en bénédictions multipliées ! Ton souvenir, tes bénédictions, m’ont suivi, m’ont protégé; elles ont attiré sur moi les grâces d’en haut, et m’ont conduit comme par la main dans tout le cours de ma vie. » Enfin que Calame, chef de famille à son tour, heureux du bonheur qu’il reçoit des siens et qu’il leur donne, sous le toit qu’il s’est acquis par son travail et que le respect de tous environne, que cet homme, à qui la fortune a depuis longtemps souri, voie s’approcher le moment où il lui faudra quitter tout ce qu’il aime, il se préparera, sans plainte comme sans forfanterie, à cette séparation suprême; il l’envisagera en face, et, peu de jours avant de mourir, il écrira à l’un de ses amis ces paroles stoïques, mais d’un stoïcisme chrétien : « Je ne reçois plus d’autres visites que celles du pasteur et du médecin. Pour être limités à ces deux hommes, le médecin de l’âme et celui du corps, mes rapports, en dehors de la famille, suffisent parfaitement à un homme dans ma