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les élèves d’un artiste de profession, Calame néanmoins hésitait encore à se confesser à lui-même son intention de sacrifier bientôt tout le reste de son temps à la peinture, son espoir de devenir un peintre à son tour. «Bien que j’eusse, écrivait-il en remontant à cette époque de sa jeunesse, bien que j’eusse le pressentiment que là était ma véritable vocation, je n’osais aborder cette pensée, et la seule ambition que j’avouasse était de faire mieux que mes confrères les colorieurs les petites images de glaciers destinées aux étrangers. Au bout de trois mois, c’est-à-dire de quatre-vingt-dix heures chez mon maître, j’avais fait assez de progrès dans le dessin pour espérer une meilleure position que celle d’employé dans un bureau. Avec le consentement de M. Diodati et avec son appui, je quittai le doit et avoir... pour vivre désormais, non point en artiste, mais en ardent travailleur. J’étais levé au point du jour, et mes veilles se prolongeaient souvent après minuit, afin de regagner les quelques heures que j’employais à l’étude sérieuse chez M. Diday, qui m’encouragea à fréquenter son atelier au-delà des trois mois dont M. Diodati avait fait les frais. » Calame, est-il besoin de le dire? n’hésita pas à s’imposer de nouvelles privations pour mettre à profit les exhortations et le bon vouloir de son maître. Il abandonna de grand cœur les outils de l’enlumineur, ne songea plus à manier que les crayons et les pinceaux du paysagiste, et le voilà, il est vrai, encore plus pauvre qu’auparavant, mais du moins libre de se donner tout entier à des études qu’il n’avait pu tenter jusqu’alors qu’à la dérobée. Bientôt il en savait assez, il avait fait assez de progrès pour intéresser utilement à sa cause quelques protecteurs, quelques artistes, le père de Rodolphe Töpffer en particulier, et pour retirer à peu près de ses esquisses peintes d’après nature ou dans l’atelier de M. Diday le gain que lui procurait naguère la vente de ses petites vues coloriées.

Tandis que Calame s’efforçait ainsi d’obtenir d’un travail acharné un commencement de talent et la promesse d’un avenir, un autre apprenti de l’art, qui l’avait à peine précédé dans la vie, et qui devait le suivre dans la mort à quelques jours seulement d’intervalle, Hippolyte Flandrin, engageait obscurément à Paris une lutte semblable, et aussi vaillamment soutenue. Certes, au point de vue du talent et de l’importance relative des œuvres accomplies, les noms des deux peintres ne sauraient être rapprochés l’un de l’autre. Autant vaudrait confondre dans une admiration égale Lesueur et le peintre hollandais Everdingen, ou attribuer aux poèmes bretons de Brizeux la même valeur qu’aux Nuits d’Alfred de Musset ou aux Méditations de Lamartine[1]; mais, à ne considérer que les rudes

  1. Hippolyte Flandrin d’ailleurs professait une grande estime pour le talent de Calame. Dans une lettre adressée à son frère à propos du Salon de 1842, il mentionne parmi les morceaux les plus remarquables de l’exposition « un beau Calame. » Le tableau que Flandrin n’hésitait pas à qualifier ainsi représente un Site des environs du lac des Waldsletten, canton de Schwitz.