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raison de son courage par cela même qu’elles n’étaient pas les siennes.

Le moyen cependant de se renfermer absolument dans des occupations si contraires aux espérances premières, de ne rien donner à la passion secrète, à l’instinct! Calame essaya de tout concilier. Ses journées ne lui appartenaient pas, aussi n’eut-il garde d’en distraire une minute au préjudice de la besogne que lui imposaient ses humbles fonctions de commis; mais, le soir venu, ne lui était-il pas permis de substituer sans scrupule un crayon ou un pinceau à la plume dont il s’était pendant tant d’heures consciencieusement servi pour aligner des chiffres? Qui sait d’ailleurs s’il ne trouvera pas dans ces travaux de son choix un surcroît de ressources pour secourir sa mère, et, — désir qui n’était chez lui ni moins ardent ni moins habituel, — pour éteindre les dettes que son père avait laissées en mourant? Des notes écrites par Calame lui-même nous apprennent quels furent alors ses efforts en ce sens et les arrière-pensées de son amour-propre, ou plutôt de son amour opiniâtre de l’art. « Je songeai, dit-il, à tirer parti de mon goût passionné pour le dessin, qui, depuis mon enfance, occupait tous mes loisirs. J’avais fait quelques progrès, sans avoir jamais reçu ni conseils ni direction. Mon excellent patron, qui était mon tuteur[1], m’encouragea et me recommanda à quelques marchands d’estampes. Je m’essayai à colorier de petites vues de la Suisse qui se vendaient assez bien, et me donnaient l’espoir de gagner par ce moyen, plus dans mes goûts que le commerce, de quoi subsister, ma mère et moi. » Et plus loin : «Ayant réussi à faire quelques aquarelles et quelques sépias que je vendais un peu mieux que les coloriages de mes vues suisses, je voyais avec espoir un tout petit pécule augmenter de semaine en semaine. J’entrevoyais la possibilité d’acquitter dans un temps peu éloigné les dernières dettes de mon père. J’étais aussi, il faut le dire, poussé par mon désir d’être artiste un jour moi-même. Tous ces motifs m’engageaient à prendre la palette, pour essayer ce qu’il me serait possible de faire. »

Prendre une palette, travailler non plus à l’enluminure de petites vues gravées ou dessinées tant bien que mal, mais à la représentation directe de la nature, s’informer sans détours des secrets de l’art, telle est donc l’ambition qui croît au fond du cœur de Calame à mesure que l’essai du métier lui réussit. Ces vœux se trouvèrent en partie exaucés lorsque le chef de la maison où le futur paysagiste faisait depuis quatre ans son apprentissage commercial lui eut permis de prélever, pour les passer dans l’atelier de M. Diday, deux heures par jour sur le temps dû aux affaires. En s’enrôlant parmi

  1. M. Diodati de Morsier.