Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/850

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travaux qu’elle a récompensés, les souvenirs qui se rattachent à la vie et au caractère de l’homme n’autorisent rien d’autre que le respect. Dans cette vie laborieuse et digne, consacrée tout entière à l’étude, aux graves devoirs, à la pratique des vertus sévères, nulle incertitude, nul démenti. Peut-être, au premier aspect, ne paraît-elle pas exempte de quelque raideur; mais cette inflexibilité, après tout, est celle de la ligne droite, et l’on aurait mauvaise grâce, en face du chemin parcouru, à y relever, comme une singularité regrettable, l’absence d’une interruption ou d’un détour.

Parler des premières années et des premiers essais d’un artiste, c’est le plus souvent se condamner à redire l’histoire bien connue d’une vocation contrariée, d’efforts entravés par les résistances d’autrui ou par la pauvreté de celui qui les tente; c’est rappeler, après tant d’exemples de même sorte, les obstacles qu’opposent à l’essor d’un jeune talent les exigences de la famille ou les difficultés de la vie. Les débuts de Calame ne feraient que remettre une fois de plus sous nos yeux ce spectacle prévu d’une enfance riche en promesses et bientôt inquiétée dans ses espérances, d’une volonté qui ne se manifeste de bonne heure que pour entrer en lutte avec l’adversité. C’est d’abord l’expression naïve d’un goût inné, d’une aptitude qui se traduit, aussitôt que la mémoire et la main peuvent agir, dans des essais à tout propos de représentation pittoresque; puis viennent, avec les progrès de l’âge, les déceptions et les épreuves, les nécessités matérielles auxquelles il faut s’efforcer de pourvoir, les malheurs qu’il faut bien accepter. Né près de Vevey en 1810 et fils d’un entrepreneur de maçonnerie, Calame avait à peine quatorze ans lorsqu’il vit son père, ruiné du jour au lendemain par la mauvaise foi, dit-on, d’un associé, tomber malade de chagrin et perdre peu à peu ce qui lui restait de courage et de forces. Deux ans plus tard, il était l’unique soutien de sa mère devenue veuve. Adieu donc, au moins pour le moment, aux rêves de talent et de gloire, adieu à la liberté de continuer de chères études et de travailler en vue des succès futurs! Ce qu’il s’agit de se procurer, ce n’est plus dans l’avenir une place parmi les artistes, c’est maintenant, aujourd’hui même, les moyens de vivre et de faire vivre celle dont la maladie du chef de la famille a épuisé les dernières ressources; ce qu’il faut conquérir, ce n’est plus la renommée, c’est du pain. Le pauvre jeune homme se mit résolument à l’œuvre. Admis, comme employé, dans les bureaux d’un agent de change à Genève, il y passa quatre années et réussit, avec les chétifs appointemens qui rétribuaient son travail, à préserver à peu près sa mère de la détresse, sauf, bien entendu, à faire bon marché de ses propres besoins et à se réduire souvent à quelque chose de moins que le nécessaire pour alléger d’autant des souffrances qui auraient eu