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LA
PEINTURE DE PAYSAGE
EN SUISSE

ALEXANDRE CALAME.

On s’étonne quelquefois que les sites de la Suisse n’inspirent pas plus habituellement les paysagistes. — D’où vient, dit-on, qu’un pays aussi digne d’admiration, aussi fécond pour les voyageurs en émotions et en surprises, demeure le plus souvent auprès des artistes dans un état apparent de disgrâce et d’abandon? — Rien de plus facile à s’expliquer pourtant, rien de plus judicieux au fond que ces réserves ou ces abstentions du pinceau. La nature en Suisse est une nature toute d’exception et d’accident, une nature sans mesure dans ses audaces, sans vraisemblance pour ainsi dire; or l’art ne saurait se proposer d’autres thèmes que ceux qui expriment, même sous des formes imprévues, une idée d’ordre, d’harmonie, une certaine vérité à la fois limitée et générale. Il ne lui appartient pas plus de reproduire la chute du Rhin à Schaffouse que la cataracte du Niagara; il prétendrait aussi vainement figurer les glaciers des Alpes que les steppes sans horizon de la Russie, parce qu’ici l’énormité du spectacle écrase ou déconcerte le sentiment de la proportion pittoresque, parce qu’en face de pareils modèles, toute volonté personnelle se paralyse, tout désir d’invention s’anéantit, parce qu’enfin le fait à représenter exclut également le droit d’en modifier les termes et le pouvoir de le rendre au vrai sans aboutir à la difformité.