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à un ancien château, Morlais castle, érigé par Gilbert, lord de Glamorgan, et dont on aperçoit aujourd’hui les ruines couronnant, à quelques milles de Merthyr, une hauteur à pic. Comme il continuait de pleuvoir, et qu’il n’y avait pas moyen ce jour-là de visiter les forges, je pris le parti de faire un voyage à ma fenêtre. L’endroit était bien choisi. Je ne dirai pas que je fusse au centre de la ville, car il n’y a point de centre; mais l’hôtel occupe dans la grande rue un poste d’observation d’où le regard s’étend sur une vaste place jonchée de décombres et très fréquentée. La population de Merthyr Tydvil jouit, il faut le dire tout de suite, d’une assez mauvaise renommée. La veille, à Cardiff, un employé du chemin de fer m’avait engagé à ne point me rendre pendant la nuit dans ce qu’il appelait une ville dangereuse. Je ne vis rien, absolument rien, qui justifiât ses craintes, si ce n’est qu’il y a là une population pauvre et grossière. Les habitans peuvent se diviser en deux classes, ceux qui portent des souliers et ceux qui vont pieds nus. Il m’a été difficile de saisir d’autres distinctions, car presque tous sont revêtus des mêmes habits cousus plus ou moins de mille pièces. Une Anglaise disait qu’il fallait venir à Merthyr Tydvil pour apprendre à raccommoder. Si quelque chose étonne, c’est que de tels vêtemens aient jamais pu être neufs. Ces haillons, vus par un jour de pluie, sous une lumière cendrée, ont je ne sais quoi de fantastique et de navrant. Les enfans demi-nus barbottent dans la boue avec l’indifférence de jeunes canards. Les femmes, habillées en grande partie comme les hommes, couvertes de vestes ou de casaques brunes, chaussées de gros souliers à semelle de bois, arpentent bravement le terrain, portant sur le sommet de la tête une cruche, un baril chargé de charbon de terre ou une lourde corbeille de légumes. Un chapeau à couronne plate, fait en paille grossière, leur permet d’asseoir et d’équilibrer le fardeau. Leur force égale leur adresse; on est tout surpris de voir des muscles vigoureux se dessiner sous leur peau brune et en quelque sorte cuivrée. Elles marchent droites et semblent défier le mauvais temps aussi bien que la mauvaise fortune. Quelques-unes recouvrent d’une loque la corbeille posée sur leur tête, prenant ainsi pour quelques humbles achats domestiques plus de soins qu’elles n’en prendraient pour elles-mêmes : que leur fait la pluie? Les femmes du pays de Galles ont aussi une manière à elles de porter leur enfant. Ce dernier est enveloppé dans un vieux châle qui recouvre l’épaule gauche de la mère et passe sous le bras droit, les deux extrémités étant nouées sur la poitrine. De cette manière l’enfant repose dans un des plis du châle comme dans un nid, et n’est plus un fardeau pour la femme, dont un des bras reste toujours libre. Cette habitude est celle des gypsies, et remonte sans doute