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lines. Ce défilé du comté de Glamorgan a été jadis le théâtre de sombres aventures : là se rencontrèrent lance au poing les bandes cuirassées des barons welshes, et le sang a teint plus d’une fois l’herbe humide des prairies. C’était un lieu inculte, farouche et presque inhabité. Aujourd’hui quel contraste! Le bruit de la locomotive trouble seul le repos de la vallée, qui s’entrouvre par moment et laisse apercevoir un village gracieusement couché au pied des collines comme un troupeau de blanches génisses. Ailleurs des maisons neuves s’éparpillent à tous les étages d’une montagne boisée. La charrue se promène sur les hauteurs, traçant des sillons chargés de toutes les promesses de l’année suivante, ou bien encore la faux décrit un cercle éclatant parmi les épis mûrs. La rivière Taff coule nonchalamment auprès du chemin de fer, s’en éloigne, puis s’en rapproche encore, écumant çà et là entre des quartiers de roche. Au moment où je traversai à vol de vapeur cette vallée pittoresque, un voile de pluie et d’épais brouillard couvrait la tête des collines, dont quelques-unes s’avançaient en promontoire sur un océan de verdure, éclairées de distance en distance par une lumière couleur de rouille. Après tout, cette brume, qui se rencontre si souvent dans le sud du pays de Galles, ne nuit aucunement à l’effet général de la scène. L’esprit devine sous ce voile des horizons qui échappent au regard et se les figure plus étendus qu’ils ne le sont peut-être en réalité. N’est-ce point à cet aspect nébuleux du ciel qu’il faut attribuer le caractère même de la poésie des bardes du nord? A mesure qu’on avance, le spectacle extérieur se modifie : l’agriculture et l’industrie semblent se disputer le terrain. De petits moutons welshes, à la laine noircie par le brouillard et par la fumée des usines, errent encore dans les prairies herbues, qui, abritées par de hautes collines, restent vertes en dépit des étés les plus secs. Plus loin, c’est l’industrie qui triomphe. Des rubans de fer couronnent le front des hauteurs, sur lesquelles courent de petits wagons chargés de minerai ou de charbon de terre, et qui sortent sans doute des bouches de la mine. Les collines, coupées, dénudées, tourmentées dans leurs escarpemens, accusent en vigueur sur un fond brumeux les blessures qu’elles ont reçues de la main de l’homme. De tous les côtés de l’horizon, de longs tuyaux de brique font de la fumée dans du brouillard. Des bouffées de feu s’échappent à distance de sombres soupiraux, comme si c’était le sol lui-même qui brûlât. Le ciel en est noir; la campagne étouffe en quelque sorte dans un bain de vapeur. Ceux qui ont vu, il y a une trentaine d’années, cette vallée du Glamorgan ne la reconnaîtraient plus aujourd’hui. D’où est venu le changement? L’homme croit tenir et dominer la terre, c’est au contraire la terre qui le possède.