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(le bosquet de Merlin, — en welshe Gallt Fyrddyn). Dans ce bois, s’il faut en croire la tradition, le prophète se livrait à ses incantations mystérieuses. Plus loin vers le nord, au coin d’un champ, on montre dans le roc une ouverture naturelle en forme de caverne. C’est là, toujours selon la même légende, que Merlin, après avoir dompté les dragons et les autres monstres de l’esprit, succomba aux attraits de la beauté charnelle et s’enterra tout vivant avec la dame du lac. Ces lieux, il faut le dire, ont aujourd’hui beaucoup perdu de leur terreur fantastique. La grotte si célèbre dans les anciens poèmes est un trou noir et fort étroit où l’on hésiterait à passer sa vie, même avec la plus adorable des fées. Quoi qu’il en soit, ce magicien, héros de tant de romances, est bien le guide qu’il convient d’invoquer en entrant sur la terre des bardes et des eisteddfodau. Il nous faut expliquer ce dernier terme, qui se rattache à l’histoire de la littérature welshe.


II.

Le pays de Galles a conservé sa langue, ses traditions, ses anciens usages celtiques, et c’est le trait qui le distingue surtout de la Cornouaille, partagée, elle aussi, entre les travaux des mines et ceux de l’agriculture. Pour fortifier encore les souvenirs si chers au sentiment national, on a institué depuis des siècles des assemblées littéraires connues sous le nom d’eisteddfodau[1]. Ces réunions, qui remontent à une grande antiquité et qui avaient lieu bien avant la conquête du pays gallois par les Saxons, ont été surnommées les olympiades de la Grande-Bretagne. On n’y admettait à titre de membres du congrès que les bardes et les ménétriers ayant passé par de longues épreuves. Un juge décidait du mérite des bardes, leur assignait des grades et leur conférait solennellement le droit d’exercer leur talent en public. Les ménétriers se divisaient de même en plusieurs classes. Les joueurs de luth à trois cordes, de tambourin et de chalumeau étaient rangés parmi les exécutans vulgaires : ils n’avaient point la permission de s’asseoir devant l’assemblée et ne recevaient qu’un denier pour leur peine. L’instrument noble était la harpe. Le chef de la faculté recevait lui-même de temps immémorial, comme insigne de ses hautes fonctions, une harpe en argent longue de cinq ou six pouces et garnie de neuf cordes en l’honneur des neuf muses. Les encouragemens qu’on prodiguait dans ces assemblées à la classe supérieure des musiciens contribuèrent à développer leurs succès. Les harpistes des Wales jouissaient d’une grande

  1. Pluriel d’eisteddfod, et dont la racine est eistedd, s’asseoir, tenir séance.