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certes point de caractère. A une fête célébrée par les habitans de Carmarthen en l’honneur du mariage du prince de Galles, une procession des divers corps d’état traversa la ville, et à leur suite marchaient une cinquantaine de pêcheurs encapuchonnés de leurs coracles. Ce furent les plus remarqués : ils ressemblaient par derrière à d’anciens Gaulois chargés de noirs boucliers.

Je me trouvais à Carmarthen le jour de la foire aux bestiaux. Des paysans aux traits celtiques fortement prononcés, les jambes recouvertes de grosses guêtres de cuir, se promenaient de long en large dans une grande rue à travers les cornes des bœufs qui cherchaient de temps en temps à s’échapper. Ces bœufs sont généralement noirs et de petite taille[1]. La dernière condition tient évidemment au caractère de l’agriculture. Le sud du pays de Galles est assez fertile, mais hérissé de collines, et les étroites vallées ne fournissent guère ces gras pâturages qu’on rencontre dans certains comtés de l’Angleterre. Les énormes bêtes à cornes du Leicestershire ou de Norfolk y tomberaient bien vite à l’état des vaches maigres de l’Écriture. Une autre particularité me frappa, c’est la ressemblance des bœufs welshes avec ceux de notre Bretagne. La même race d’animaux et la même race d’hommes habitent le nord-ouest de la France et l’ouest de l’Angleterre, séparées par un bras de mer. Qui ne sait que le langage des deux provinces, la Bretagne et la principauté de Galles, présente aussi des traits de famille? Les Welshes ont interprété le fait en leur faveur. A les en croire, ce sont eux qui ont peuplé la Bretagne française. Une tradition locale fixe même la date des trois émigrations qui auraient étendu au-delà du détroit la langue et la civilisation galloises. La première de ces émigrations aurait eu lieu en l’an 313 après Jésus-Christ, la seconde en 383 et la dernière en 409. Je rapporte cette opinion flatteuse pour l’amour-propre des Gallois sans tenir compte des difficultés historiques qu’elle soulève. Les racines qui unissent la constitution moderne des Welshes à l’ancienne nationalité sont encore très fortes, et tout ce qui peut rehausser leurs annales est pour eux un article de foi.

Le nom de Carmarthen lui-même dérive, suivant quelques philologues, de Caer Merddin, la ville de Merlin. La chronique veut qu’elle ait en effet donné naissance au célèbre enchanteur dont le vieux poète anglais Spenser a célébré les merveilleux exploits dans sa Reine des fées. A trois milles de Carmarthen s’élève un petit bois touffu qui porte encore aujourd’hui le nom de Merddin’s grove

  1. Les moutons de leur côté sont à peine la moitié aussi gros que les moutons anglais. Par une harmonie bien connue des naturalistes, la taille des hommes se montre généralement proportionnée dans le pays de Galles à celle des animaux domestiques.