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l’industrie nautique au sein des îles de la Grande-Bretagne. Ce sont les mêmes bateaux, on a lieu de le croire, qui servaient aux Gaulois, aux Scots et aux Pictes pour traverser les fleuves et les rivières. Le coracle consiste en une légère carcasse à jour faite avec des lattes ou de minces baguettes d’osier, et recouverte soit d’une peau, soit d’une toile goudronnée. On dirait le berceau de Moïse flottant sur les eaux; c’est du moins le berceau de la navigation. Le milieu du coracle est traversé par un banc de bois sur lequel s’assied le nautonier, car ces bateaux ne sont guère faits que pour une seule personne. Une rame à la main gauche qu’il manie avec une dextérité merveilleuse, il fait mouvoir et dirige à la fois, comme avec un gouvernail, la frêle embarcation. De la main droite, qui reste libre, il se livre à la pêche. Le plus souvent il est accompagné d’un autre pêcheur qui manœuvre un autre coracle et l’aide à tendre les filets. Comme les gros poissons vivans deviendraient des hôtes incommodes dans cette tremblante nacelle, qu’un seul soubresaut peut faire chavirer, le pêcheur les assomme avec une sorte de casse-tête avant de les tirer de l’eau. Ceci fait, il les jette sous le banc, où se trouve une place pour les recevoir. Toutes ces manœuvres exigent beaucoup d’adresse; aussi arrive-t-il quelquefois des accidens. Lorsque j’étais dans le sud du pays de Galles, deux ouvriers de Shrewsbury s’étaient embarqués dans un coracle pour cueillir des noisettes aux buissons touffus qui ombragent aux environs de la ville le cours du Severn. L’un des deux étendit brusquement la main vers une branche de noisetier qui pendait toute chargée à la surface de l’eau. Ce vif mouvement avait suffi pour rompre l’équilibre de la vacillante embarcation, et les deux hommes tombèrent dans la rivière. Ils revinrent à la surface, où on les vit se saisir l’un l’autre, puis ils s’enfoncèrent sous les vagues pour ne plus reparaître. Telle est pourtant la force de l’habitude que les pêcheurs semblent naviguer à l’aise et avec une confiance parfaite dans ces perfides coracles. L’un d’eux avait parié de se rendre de la rivière Wye par l’estuaire tempétueux du Severn jusqu’à l’île Lundy, située un peu plus bas que l’embouchure du canal de Bristol. Il tint parole, et à son retour il fut accueilli par ceux qui connaissaient les difficultés d’une telle traversée dans un tel bateau avec autant d’honneur que s’il fût revenu d’un voyage autour du monde.

Après leur journée de travail, les pêcheurs mettent à sec le coracle, et, le prenant sur le dos, vont le déposer à la porte de leur cottage. Vient-il à pleuvoir chemin faisant, ils se cachent la tête sous le bateau léger et imperméable, ainsi que les tortues se rassemblent sous leur carapace par les mauvais temps. Vus ainsi, ces hommes présentent un aspect assez singulier, mais qui ne manque