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les célibataires? Il n’y a là qu’un jeu de scène, un épisode, comme l’apparition de la petite pêcheuse d’écrevisses, destinée par la suite à plus haute fortune, grâce au caprice d’un des vieux garçons, et qui, en attendant les fins soupers et son renom de diva, chante pour un verre de vin pur le plus drôle des refrains agrestes. Qu’est-ce aussi que cette histoire usée et rebattue d’un fils naturel reconnu à la fin par son père? Cela réussit toujours au théâtre, quand un acteur comme Lafont a l’art de faire ressortir le pathétique de la situation; mais il est permis de trouver ici que la fiction purement théâtrale s’étend aux dépens de la peinture psychologique et de l’étude du type social. Ce père sur le point de se battre en duel avec son fils, qui l’accuse d’avoir séduit et déshonoré sa fiancée, rappelle de près Montjoye, le viveur taré, perçant d’un coup d’épée le fiancé de sa fille; mais combien, dans la pièce de M. Octave Feuillet, cette péripétie dramatique est mieux amenée et plus naturelle! Quant à la conduite des maris sur la défensive, elle est parfois d’une puérilité tout à fait propre à les mettre à mal, n’était l’insigne maladresse ou l’incurie des vieux garçons, et il faut avouer qu’à part Mortemer l’infatigable, qui passe sans désemparer de la femme mariée à la jeune fille sortie la veille du couvent, les vieux garçons de M. Sardou ne se font guère honneur dans le métier que leur assigne l’auteur.

La figure la plus logique et la mieux rendue de cette comédie, c’est la jeune fille innocente, dont les accès de curiosité et les élans de tendresse naïve passent comme un souffle pur et rafraîchissant sur cet amas d’épisodes et de détails parfois obscènes ou hasardeux, et reposent de la niaiserie un peu fade de ces femmes mariées qui sont le point de mire des célibataires à l’affût. Ce personnage de jeune fille, interprété par Mlle Delaporte avec une grâce et une délicatesse infinies de nuances, sauve heureusement la pièce malgré les hors-d’œuvre et les longueurs qui l’entravent. Chose étrange, il y a dans presque toutes les comédies de M. Sardou, comme dans celles de M. Barrière, mais à un moindre degré, je crois, un filet de fraîcheur fugitive qui jaillit dans deux ou trois scènes, par exemple la scène du piano dans les Vieux Garçons, puis disparaît comme tari. Si l’auteur poursuivait moins au théâtre les succès faciles et multipliés, peut-être eût-il pu tirer, avec de l’étude et de la patience, des effets heureux et solides de cette aptitude à peine accusée de son talent: mais dans les Vieux Garçons, comme dans ses autres comédies, il est évident qu’il a plus compté. pour obtenir les suffrages du parterre, sur les pétillemens de son esprit, sur les excès les plus insensés de son audace, tant éprouvée en fait de dialogue et de situation, que sur les notes vraies ou les cris de l’âme. Ces notes justes et ces cris émus, M. Sardou les rencontre pourtant en plus d’un endroit. S’il n’a point cet esprit de suite et cette puissance ouvrière qui bâtit solidement une œuvre dramatique et conduit à travers cinq actes une intrigue nouée d’une main sûre ou un caractère logiquement conçu.