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les allures du théâtre contemporain nous ont habitués. La donnée simple, trop simple peut-être, provoque seulement le sourire discret et tranquille, et se déroule sans bruit à travers des péripéties assez innocentes. Tout autre est le caractère d’une pièce de MM. Nus et Bravard, Lisez Balzac. D’intrigue, point : ce n’est qu’un dialogue, une suite de conversations, qu’épice de gros sel un esprit hardiment grivois. En acceptant ce vaudeville rabelaisien, qui excite le rire au même titre que le font après boire les mots gaillards, l’Odéon a visiblement empiété sur le répertoire du Palais-Royal.

Au Gymnase, M. Victorien Sardou vient de donner sous ce titre, les Vieux Garçons, une de ces pièces d’un genre mixte et mal défini dont le public de nos jours paraît si friand. En écrivant Don Quichotte, M. Sardou avait fait un fâcheux écart : de ces peintures réalistes, quelquefois outrées ou mesquines, mais qui reproduisaient certains types et certains travers de ce temps-ci, il était tombé brusquement dans une sorte de parodie froide et confuse d’un chef-d’œuvre. Les Vieux Garçons le ramènent dans sa première voie. Revient-il de son excursion capricieuse riche de nouvelles ressources et guidé par un goût plus sûr ? Les applaudissemens enthousiastes de la première soirée signifient-ils qu’il rentre au bercail dru et nourri d’un lait plus pur ? Non, le voici seulement avec sa même verve mutine, osée et intempérante ; le voici, selon sa coutume, prenant le public par ses côtés faibles, à la façon des enfans gâtés. De l’air cavalier dont il se présente sur la scène, il semble dire au spectateur : Ami, je vous ai tâté plus d’une fois ; maintenant je vous connais et je vous manie à ma guise ; vos routines littéraires, vos petits entraînemens et vos petites passions du moment, tout cela est devenu mon critérium. — Et le spectateur d’applaudir et de continuer ses cajoleries au dramaturge si avisé. Sans avoir égard à une entente si cordiale, examinons quel jugement il convient de porter sur les Vieux Garçons.

L’idée sur laquelle repose cette comédie, c’est que le célibataire est au ménage du mari ce qu’est le loup à la bergerie. La grande, l’unique affaire du vieux garçon, du « galant chauve, » c’est de chasser sans port d’armes sur les terres d’autrui et de réchauffer sa solitude au foyer du voisin. Il y a certes dans cette donnée, qui n’est pas nouvelle au théâtre, un germe fécond de comédie. Pourquoi M. Sardou ne l’a-t-il pas creusée franchement au lieu de se mouvoir autour et aux environs ? Fidèle à son procédé d’effleurement, il ne nous montre le type comique qu’à la surface, de sorte que le rire et l’émotion naissent moins du développement de ce type lui-même que des élémens secondaires combinés à côté pour l’effet scénique. Où est l’intrigue dans les Vieux Garçons ? Où et comment s’engage la bataille des cœurs et des personnages ? Qu’est-ce que cette scène énigmatique du premier acte, où les maris, on ne sait pourquoi, — et de toute la pièce on ne le saura, — battent en retraite devant l’ennemi, c’est-à-dire devant