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de leur rôle; mais on ne saurait mettre en doute la sincérité de leur premier désintéressement : c’est bien l’âme qui distille tour à tour la haine et l’amour par ces bouches prêtes, selon l’occasion, à souffler le froid et le chaud. Mme Renaud, la femme de tête et de ménage, qui traîne son mari à la remorque, et qui, après réflexion, se décide à faire son devoir avec l’ordre qu’un comptable met à tenir ses livres, est franche, malgré sa gloriole et ses vaines parades, toutes les fois qu’elle repousse ou attire l’orpheline; ce n’est qu’un cœur indécis, sans solidité, au fond ni bon ni mauvais. En dépit des coups de théâtre ingénieux et inattendus, il reste donc ici des vides à combler, et sous ce rapport cette comédie, si ample de forme, remplie de détails charmans, où l’âme jaillit et pétille en de si vives et si lumineuses étincelles, ressemble assez bien à un riche vêtement dont la trame serait peu serrée. Néanmoins, si l’ensemble laisse à désirer plus de cohésion, bien des parties prises séparément accusent un grand fini de travail. Voici par exemple des figures logiques, aux fermes arêtes, sculptées tout en cœur de chêne : c’est Boutin, l’homme avisé et calculateur, le chiffre vivant de la comédie, pour qui « les affaires sont les affaires, » et que Thiron représente avec tant d’aisance et de naturel. C’est Jenny, la douce et triste jeune fille, dont Mlle Mosé rend si bien les fiertés simples et mélancoliques, et qui, après s’être révoltée avec dignité contre l’aumône, revient, le pardon aux lèvres, mêler ses pleurs aux larmes de ceux qui l’ont insultée. La scène où l’orpheline, après avoir enjoint aux Renaud de payer intégralement les dettes de son père, apprend que l’argent dont elle a cru faire un si noble usage sort de la bourse du drapier et grève la charité de cette famille qui l’a recueillie, est conduite jusqu’au bout avec une chaleur, une verve et une habileté peu communes; c’est sans contredit la plus belle de la comédie. En somme, malgré quelques invraisemblances dans la conception et de la brusquerie dans la succession des contrastes, la pièce mérite les applaudissemens qu’elle a obtenus à l’Odéon. Le vers incisif de l’auteur pénètre au vif des sentimens et des situations, et le dialogue ne s’attarde pas en ces tirades longues et déclamatoires qui sont l’écueil ordinaire du genre. Ici encore, comme dans ses pièces précédentes, M. Pailleron s’est plu à rappeler, par des redites d’un heureux à-propos, les formules où chaque personnage résume en quelque façon toute son âme et toute sa pensée, et qui sont comme les points culminans des diverses phases du développement dramatique. C’est un procédé ingénieux dont il ne faut pas toutefois abuser, car une plume moins habile que celle de M. Pailleron courrait risque de s’y enferrer. — Avant de quitter la scène de l’Odéon, ajoutons que le Second mouvement y est encadré entre deux petites pièces nouvelles qui ne laissent pas que d’offrir un contraste. L’une, l’Oncle Sommerville, de M. Ernest de Calonne, est une bluette aisée et sans prétention, écrite par une main soigneuse des plus petits détails de forme; il n’y règne pas cette verve hardie, pétillante et quelquefois un peu brutale de manières, à laquelle