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conscience de combattre l’erreur et de l’étouffer. Nous ne sommes donc ni étonnés ni scandalisés de voir un pape, souverain temporel, subordonner son action politique à sa foi et gouverner suivant son dogme. C’est justement pour cela que dans l’état actuel du monde, lorsque l’idée de gouvernement est nécessairement associée aux idées de patriotisme, de liberté et d’égale justice envers les gouvernés, à quelque religion qu’ils appartiennent, c’est pour cela, disons-nous, qu’il nous paraît monstrueux qu’une autorité politique soit donnée à un pontife obligé par sa conscience d’exercer cette autorité dans le sens rigoureux, partial, exclusif, de sa foi religieuse.

Voilà le scandale dont la religion, pas plus que la politique, n’est intéressée à prolonger la durée, car ce scandale n’opprime point seulement l’indépendance d’un peuple ; il divise les âmes, il est intolérable à la conscience moderne. Un homme tel que M. Dupanloup ne devrait point prendre le change sur l’objection invincible que le libéralisme oppose au pouvoir temporel des papes. Nous n’en voulons pas à ce pouvoir d’être ce qu’il est ; nous savons qu’il ne peut être autre, et ce n’est pas nous qui lui adressons l’invitation hypocrite de se réformer. Nous trouvons naturel que ce pouvoir, étant dominé par une foi religieuse, ne puisse avoir d’autres doctrines que celles qu’il professe, une autre conduite que celle qu’il pratique ; mais nous protestons contre l’union odieuse des deux autorités qui superpose une tyrannie religieuse à un pouvoir politique. À quoi sert alors de tenter des conciliations impossibles et de nous amuser par des compromis qui ne sont qu’un triste jeu d’esprit ? Ces tentatives de justification impossible n’aboutissent qu’à de regrettables altérations de la vérité. Par exemple, M. l’évêque d’Orléans croit nous démontrer la tolérance du pape en nous disant avec la frivolité d’un touriste que les Juifs ont à Rome une synagogue. Parlons donc du sort des Juifs sous le gouvernement pontifical ! Certes la colonie juive de Rome est aussi romaine qu’aucune autre partie de la population. S’il y a encore des Juifs à Rome, c’est que le pouvoir temporel les y a trouvés et n’a pu supprimer, comme il a fait des dissidens survenus plus tard, cette communauté autochtone. Son immigration date du siège de Jérusalem, et la tradition fait remonter au temps de Titus la synagogue actuelle. Voici comment la tolérance pontificale est exercée à l’égard des Juifs romains. Il y a encore un ghetto à Rome lorsqu’il n’y en a plus dans le reste de l’Europe. Or un ghetto, ce n’est pas seulement un quartier particulier et marqué, c’est à une certaine heure de la nuit une prison où toute une population est séquestrée. Les Juifs ne peuvent demeurer hors du ghetto. Un très petit nombre d’entre eux ont eu la permission d’avoir des magasins hors de cette enceinte et seulement dans quelques rues voisines. Ils ne peuvent quitter Rome sans l’autorisation de l’inquisition, et s’ils ont obtenu d’aller dans une autre ville romaine, ils doivent, dès leur arrivée, se présenter à l’inquisiteur de la localité. Ils n’ont