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léon ; mais le Piémont ! un petit royaume, un petit état constitutionnel, tout meurtri encore de sa défaite de Novare, voulant tenter en Italie l’émancipation de la société civile, c’était aux yeux de Rome un excès d’insolence et d’audace qui devait être réprimé avec une sévérité méprisante et irritée. La lutte de Rome contre le Piémont pour le pouvoir temporel a pris naissance, on peut le dire, plusieurs années avant la guerre de 1859, et cette lutte, Rome l’a commencée en soutenant à Turin de la façon la plus violente et la plus tracassière les absurdes et injustes empiétemens du pouvoir ecclésiastique sur la liberté de la société civile. M. Dupanloup croit en vérité parler à des ignorans quand il évoque le souvenir des lois Siccardi et des prétendues persécutions exercées par le gouvernement piémontais contre l’église ; mais lui, qui déclare accepter loyalement les institutions françaises, comment peut-il flétrir en Piémont comme sacrilèges des lois qui ne font que consacrer des garanties semblables à celles que la France s’est données, et qu’elle entend bien garder contre les usurpations du pouvoir ecclésiastique ?

Toute cette partie historique de l’écrit de l’évêque d’Orléans, appuyée sur des autorités discréditées, des assertions partiales et des documens suspects, ne tiendrait point dans le détail contre une discussion modérée et précise. Le côté le plus curieux de la brochure est la glose de l’encyclique. M. Dupanloup ne se plaindra point si son commentaire de l’encyclique pontificale a été considéré par une grande portion du public comme un désaveu ironique des doctrines politiques exposées par le pape. M. Dupanloup tente, par un effort immense et généreux, de concilier les condamnations du stjllabus avec les principes libéraux des sociétés modernes. Ses explications, aidées de tous les expédiens de la scolastique, interprétant l’expression formelle par des sous-entendus captieux, distinguant entre le contraire et le contradictoire, entre la thèse ou l’hypothèse, font parfois l’effet d’une colossale raillerie. Si dans cette interprétation étrange M. Dupanloup n’a pas cherché surtout à mettre son propre bon sens et son propre libéralisme à l’aise à l’égard de l’encyclique, s’il a cru réellement dégager la liberté civile des mailles du syllabus, on doit le prévenir qu’il s’est trompé et qu’il s’est donné une peine inutile. L’encyclique n’a pu être une révélation surprenante que pour les ignorans ; elle n’a pu scandaliser que les esprits mal faits qui ne comprennent rien à la logique des convictions religieuses. On n’avait pas besoin de l’encyclique pour savoir qu’un pape ne peut point admettre la liberté des cultes, la tolérance, une institution telle que celle du mariage civil, dans le sens où ces idées et ces principes sont entendus par les sociétés modernes. Pour le pape, tout ce qui se rapporte, de près ou de loin, au dogme chrétien prend le caractère absolu d’une vérité ou d’une erreur ; il n’y a point là pour lui d’équivoque possible. Le pape ne peut point empêcher que, hors du cercle de son action, l’erreur subsiste ; mais partout où atteint son action, il est tenu en