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manifestation a été pour tous une série de surprises. Le principe qui a dominé les révolutions italiennes a été l’idée de l’affranchissement national. Au nord, au centre, au midi, les patriotes italiens ont voulu délivrer leur pays du joug autrichien. Dans les diverses formes que l’émancipation a prises suivant le tour des événemens, le Piémont n’a eu d’autre influence que celle que lui donnait sa propre indépendance. Du jour où il avait reçu, avec le statut, les garanties d’un gouvernement représentatif et libre, le Piémont avait été la seule région italienne soustraite à la pression de l’Autriche. À partir de ce jour-là, le Piémont, dans ses étroites limites, représenta la cause de l’indépendance italienne. Tout ce qui a suivi n’a été que la conséquence nécessaire d’une situation qui a été longtemps le péril et qui est devenue la gloire du Piémont. Il n’y avait pas de milieu : il fallait ou que le dernier vestige d’indépendance italienne s’éteignît avec la jeune liberté du Piémont sous l’influence de l’Autriche, ou que le Piémont, prenant la direction de la cause de l’indépendance nationale, parvînt à renverser la prépondérance étrangère. En principe, la question se pose donc en ces termes : entre l’affranchissement de l’Italie ou la continuation de la domination autrichienne, que fallait-il choisir ? La haine dont M. Dupanloup et ses amis honorent le Piémont est bien peu intelligente ou bien peu libérale, car c’est pour l’Italie autrichienne qu’elle se prononce. Elle est bien peu française, car toutes ses récriminations aboutissent à ce paradoxe insensé, qu’une Italie soumise aux influences autrichiennes était préférable, dans l’intérêt de la France, à une Italie appartenant aux Italiens !

Mais le principe de l’affranchissement national étant posé, il est facile de voir que les incidens qui ont suivi la guerre de 1859 étaient non l’effet d’une préméditation ambitieuse, mais l’ouvrage même de la nécessité. Il est une seule hypothèse qui, si elle se fût réalisée, eût laissé au Piémont et à la France leur liberté d’action dans la reconstitution de l’Italie indépendante ; on n’eût eu la chance d’échapper à la tyrannie des incidens que dans le cas où le programme de la guerre de 1859 eût été intégralement rempli, où la Vénétie eût été enlevée à l’Autriche, où l’Italie eût été affranchie des Alpes à l’Adriatique. L’Italie n’eût pu être constituée en confédération, et au moyen de cette confédération les autonomies séparées des diverses régions italiennes n’eussent pu être conservées qu’à la condition que l’Autriche fût absolument exclue de la confédération. Ce n’est pas l’ambition du Piémont, c’est la paix de Villafranca qui a fait l’unité de l’Italie. Ce n’était évidemment pas une pensée sérieuse de songer à former une confédération italienne dont non-seulement l’Autriche eût fait partie, mais où l’Autriche aurait eu la prépondérance obligée, puisque la majorité des états y eût été représentée par des princes de la maison d’Autriche ou par des cliens de la cour de Vienne. Ce qui rendait cette combinaison encore plus monstrueuse et plus impraticable, c’est qu’elle ne pouvait plus se réaliser que par une sorte de rétroactivité et qu’en imposant aux diverses ré-