Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/774

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résultat, la lettre ministérielle du 1er janvier a donc complètement manqué le but qu’elle se proposait ; elle n’a eu vis-à-vis des évêques que l’effet d’une vexation puérile et inefficace : elle leur a été un prétexte commode pour déplacer le terrain de la discussion, et pour changer une position défensive pleine d’embarras contre une attitude de protestation et de revendication qui leur procure et la force morale et les honneurs de la lutte. En embrouillant la controverse engagée entre les prétentions pontificales et les principes de la société moderne, elle a momentanément affaibli la cause de ces principes.

Du côté de l’église, le caractère et la portée de la résolution prise par M. l’évêque d’Orléans ne méritent pas moins d’être attentivement remarqués. Si nous n’étions pas dans la France d’après 89, si l’ancienne confusion du spirituel et du temporel qui formait avant la révolution la constitution de l’église gallicane subsistait encore, M. Dupanloup n’eût pas pu abriter l’accomplissement de ce qu’il considère comme son devoir d’évêque dans l’exercice de son droit de citoyen ; en cas de conflit entre le spirituel et le temporel, il ne lui eût pas plus été permis de publier une brochure que d’écrire un mandement ; il lui eût été impossible de déjouer la fiction d’une interdiction ministérielle ou parlementaire par un acte qui ne relève que du droit commun. Si M. l’évêque d’Orléans a pu remplir ce qui à ses yeux est un devoir de conscience, si, se débattant dans ce qu’il appelle ses chaînes, il a cependant trouvé « un moyen de dire et de crier ce qu’il a dans l’âme et sur les lèvres, » s’il a fait comme citoyen ce qu’il n’aurait pu faire comme évêque, à quoi le doit-il ? Il le doit, et certes il n’a pas lieu de s’en plaindre, à ce peu de liberté de presse que notre législation a encore conservé. Il a pu parler librement comme évêque, parce qu’on peut encore parler en France comme citoyen, avec une certaine liberté, dans une brochure. Lui, qui veut conserver à la tête de la hiérarchie catholique l’union de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, 11 vient donc de faire avec éclat un acte d’église libre dans l’état libre. La contradiction est piquante et vaut la peine d’être notée au passage. Kncore une fois, M. Dupanloup n’a point lieu de s’en plaindre, et nous ne nous en plaignons point, nous non plus. Il faut bien voir un effet de l’invincible force des choses et une des tendances nécessaires de ce temps-ci dans ce premier hommage de fait rendu par un évêque français au système qui dans tous les pays libres doit désormais placer la liberté de conscience sous la sauvegarde de la liberté politique.

Quoi qu’il en soit et en dépit des confusions qu’ont produites la lettre ministérielle aux évêques, les protestations de ceux-ci et les appels comme d’abus, il faudra bien que le débat soit repris dans les termes mêmes où l’ont posé la convention du 15 septembre et l’encyclique du 8 décembre, dans les termes où M. Dupanloup l’a franchement abordé. L’arène du conseil d’état n’est point assez large pour contenir ou détourner une telle con-