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un orchestre plein, bien ordonné, et qui pourtant ne vous intéresse presque jamais; du bruit pour peu d’effet, de la sonorité sans coloris : l’école belge. Comme dans cette comédie jugée excellente, et qu’il ne s’agissait plus que de saupoudrer de mots d’esprit, on voudrait par intervalles voir pleuvoir des étoiles sur le tissu solide (trop solide souvent) de cet orchestre. L’ouverture en manière d’introduction a de l’unité, l’allegro militaire du début s’y accuse vigoureusement, quoique sans excès. M. Gevaert s’entend fort bien à pondérer ses masses, et je lui en sais gré pour ma part, dans un ouvrage où presque toujours les instrumens de cuivre sont en relief. A la vérité, ce n’est là en quelque sorte qu’une qualité négative, car s’il est beau de ne point assourdir son monde, il serait mieux encore de le charmer. Or le charme ici n’apparaît guère que dans un rapide nocturne chanté par les deux femmes au commencement du premier acte : fraîche et gracieuse inspiration évanouie aussitôt, et dont la trace ne se montre plus. Comme idée mélodique, c’est exquis, et cependant les couplets du roi au second acte réussissent bien autrement, et ces couplets ne valent guère que par une imitation très adroitement combinée de la musique du temps, une espèce d’expression archaïque rendue plus saisissante par le ton de gaillardise émue, le naturel parfait du comédien qui les débite, je devrais dire du chanteur, car M. Couderc déploie tant d’art dans ce rôle qu’il est parvenu à s’y faire une voix tout comme il s’y est fait un visage. Est-ce un ténor? un baryton? Je l’ignore. C’est la voix du capitaine Henriot. D’ailleurs ces couplets du moins sont en scène, avantage trop rare pour ne pas être à l’instant reconnu du public, car, je le répète, si l’imbroglio de M. Sardou a pour les gens qui goûtent cette littérature son pittoresque et son intérêt mélodramatique, jamais on ne vit pièce ajustée plus à contre-sens de la musique. Le dialogue y prend la place du chant, le chant y fait regretter le dialogue; les situations, quand elles se présentent, y sont éludées, éconduites, ce qui n’empêche pas l’ouvrage de réussir très brillamment, grâce à certaines rencontres du musicien, à l’exécution, à la mise en scène, grâce surtout à cette chance heureuse qui semble s’attacher au théâtre à une période historique dont la couleur attire toujours, sans doute parce qu’on l’a déjà vue dans deux chefs-d’œuvre ; le Pré aux Clercs et les Huguenots.

Aux lendemains du Capitaine Henriot, on joue Zampa, et la partition d’Hérold fait à son tour salle pleine. « Ce que je suis, ce que je sais, a écrit un poète allemand, M. Geibel, je le dois à l’Allemagne raisonnante ; mais pour le secret de la forme, c’est le sud qui me l’a révélé... » Égale chose peut se dire d’Hérold; lui de même, génie rêveur et passionné, talent pétri de compréhension mâle et de sensibilité féminine, procède du nord et du midi. Mozart et Weber l’ont formé, mais Rossini l’attire, le débauche. Il y a dans le Pré aux Clercs et Zampa des passages qui trahissent l’imitation à outrance d’un génie auquel on s’est livré corps et âme, et dont on caresse