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la pratique du système, je défie qu’on m’en cite un, même parmi les plus tapageurs de l’école de Weimar.

Avez-vous jamais ouï parler d’un opéra-comique en un acte intitulé Uthal? J’en doute fort, et cependant, qui le croirait? ce simple opéra-comique, et en un acte, était déjà gros de toutes les théories que nous avons vues depuis crever sur nous à si grand fracas. Uthal ! cela vous a tout de suite je ne sais quel faux air d’épopée ; il vous semble reconnaître dans ce titre comme un héroïque précurseur des Tannhäuser et des Lohengrin. L’action se passe aux beaux temps d’Ossian, et Méhul, estimant que ce n’était point assez pour sa musique de s’attacher à l’étude des caractères, trouvant, comme César, qu’il n’y a rien de fait, s’il reste quelque chose à faire, Méhul voulut se mettre en frais de couleur historique, mieux encore, de couleur locale. Produire une musique monotone, d’une mélancolie crépusculaire, une sorte de grisaille pareille en son effet à ces mornes vapeurs océaniques qui embrument le littoral calédonien, tel fut son parti-pris dans cet ouvrage imité d’Ossian, ainsi qu’on peut le lire au frontispice de la partition gravée : système chez lui tellement délibéré qu’on le vit, chose de nos jours presque inimaginable, pousser le scrupule de la tempérance jusqu’à s’abstenir de l’emploi des violons, les excluant de son orchestre comme des coloristes par trop vénitiens dans un pareil sujet. «Dans l’exécution de cet ouvrage, les violons doivent être remplacés par des quintes. » Lui-même prend soin d’expliquer sa théorie en manière d’avant-propos. Les flûtes, les hautbois, les clarinettes, les bassons et quatre cors composent, avec les quintes, cet orchestre, inexorablement maintenu dans la gamme du gris. N’oublions pas un coup de tamtam frappé au bon endroit, n’oublions pas surtout les harpes, qui ne peuvent manquer d’intervenir en cette histoire, attendu que dans un opéra imité d’Ossian il y a toujours des bardes! Je ne crois pas qu’on ait jamais, avec plus de conviction et d’austérité, sacrifié à cette vaine idole qu’on appelle la vérité dramatique. L’ouvrage néanmoins tomba; ni les connaisseurs ni le public n’en voulurent. Tout le monde avoua sans peine qu’au point de vue de la vérité de l’expression c’était sublime, mais personne ne revint, tant il est vrai qu’il y a de ces vérités qui ne sont pas meilleures à s’entendre chanter qu’à s’entendre dire. C’est à la première représentation de cet opéra d’Uthal que Grétry fit son fameux mot du louis d’or pour une chanterelle. Mais n’allons pas trop loin, et gardons-nous de confondre cette erreur d’un logicien têtu avec la simplicité souvent admirable et la saine sobriété du style de Méhul. Si cette partition d’Uthal fut l’écart d’un système. Une Folie et Joseph en furent l’honneur et le triomphe. Je cite à dessein ces deux ouvrages, parce que, dans l’un comme dans l’autre, le compositeur, avec cette vertu de tempérance musicale qui caractérise sa nature, me semble avoir fixé le genre et donné à ses contemporains, sous sa double forme aimable et grandiose, le véritable modèle de l’opéra-comique de l’avenir.