Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tournelle pour tripler, pour décupler leur ardeur, porter leur geste à l’exagération, et volontiers vous leur crieriez comme Hamlet : « Ne sciez pas trop ainsi l’air avec vos bras, et ne déchirez pas les oreilles de la galerie! » Ce n’est pas tout : la musique, s’emparant de ces voix, en a complètement modifié les conditions; parler un sentiment est une chose, le chanter en est une autre, et lorsque les violons se taisent et que le dialogue se renoue, ces voix mises en haleine, échauffées, entraînées, ne retrouvent plus le diapason de la comédie. Ce sont des chanteurs maintenant qui parlent et non plus des acteurs; laissez-les s’animer à la répartie, prendre feu et flamme pour la pièce, et tout à l’heure, quand il s’agira d’enlever un duo dramatique, un finale, ce ne sera plus, hélas ! qu’à des comédiens essoufflés que vous aurez affaire. Ces déplacemens de registre que les virtuoses italiens, et ceux surtout de notre Académie impériale redoutent tant, — à ce point qu’il leur répugne infiniment de jouer à des distances trop rapprochées des rôles de leur emploi écrits dans des tonalités diverses, — ces déplacemens deviennent à l’Opéra-Comique d’une nécessité si fréquente qu’à peine si l’on s’en occupe. Les oreilles très exercées seules y prennent garde et s’en affectent comme de toute discordance. Un grand maître de nos amis, entrant un soir vers dix heures au Théâtre-Français pendant qu’on y jouait une comédie de Molière, fut surpris de l’élévation du métronome. « Il me semble, nous dit-il en souriant, que ce n’est pas tout à fait juste, peut-être un quart de ton trop haut. » Quelques jours après, je rencontrai un des sociétaires, et comme je lui racontais la chose, « ceci n’a rien qui m’étonne, me répondit-il, et des organisations moins subtiles que les vôtres eussent pu être également impressionnées. Vous arriviez tard dans la soirée, l’acte tirait à sa fin, le ton, qui toujours tend à hausser, touchait donc presque en ce moment à l’extrémité de son échelle, et, venant du dehors, vous étiez brusquement saisis par la sonore intensité d’une atmosphère graduellement échauffée, et dont la perception échappait à ceux qui écoutaient la pièce depuis le commencement, de même qu’à ceux qui la jouaient! » Lorsque dans un milieu tel que le Théâtre-Français, où tant de soin préside aux moindres inflexions de la voix, tant de calcul aux moindres gestes, que la maestria souvent y dégénère en pédantisme, et qu’on a pu dire avec esprit des comédiens qu’ils ne se contentent pas de jouer, mais qu’ils officient — lorsque dans un pareil milieu l’oreille peut être offensée, comment prendre son parti sans quelque peine des transpositions continuelles qui résultent pour l’organe des chanteurs de ce passage immédiat de la musique au dialogue parlé? Et cependant, qui voudrait le nier? c’est un genre charmant que l’opéra-comique, un genre mixte très fécond sous ses deux espèces, capable de susciter à la fois d’agréables comédies et des partitions de maître, des chanteurs tels que M. Roger, M. Faure, et des comédiens tels que M. Couderc, des actrices comme M Faure-Lefebvre. A mon sens, ce n’est pas un médiocre argument en