cules. Mozart et Beethoven, pas plus que Raphaël et Shakspeare, ne veulent des ascètes ; leur religion se peut concilier avec les goûts les plus mondains. Ayons donc une bonne fois le courage de nos sensations, et disons-nous que l’ouverture de Coriolan et les entr’actes d’Egmont ne nous en voudront pas le dimanche d’avoir fêté pendant la semaine la Dame blanche ou le Domino noir, et que ce n’est en aucune façon abdiquer son droit à célébrer Fraschini et la diva Patti, à les critiquer même, que de reconnaître honnêtement qu’à l’Opéra-Comique il y a parfois des ténors qui savent chanter et des comédiennes dignes de remarque.
J’aime l’Opéra-Comique, et je le dis tout haut, sans crainte aucune de disgrâce. Un théâtre qui dans le passé peut évoquer des maîtres tels que Grétry, Méhul, Cherubini, qui dans le présent a pour représentant Boieldieu, Hérold, M. Auber, ne saurait être renié par qui que ce soit, fût-ce au nom des plus grands principes de l’art musical. Les Allemands ne s’y sont jamais trompés. Le plus ou moins d’intérêt que nous inspire à nous autres Français cette idée que nous avons affaire à un genre éminemment national les touchait peu, je suppose, et si de tout temps on a vu figurer sur leurs premières scènes des ouvrages empruntés à ce répertoire, c’est qu’apparemment ces ouvrages s’imposaient à leur estime, à leur admiration par des qualités essentielles. Le Joseph de Méhul, dont un poème d’une phraséologie par trop grotesque rend à Paris la représentation presque impossible, — à Vienne, à Berlin, occupe à chaque instant l’affiche. De même des Deux journées, qu’on retrouve en honneur partout. On sait ce que Beethoven pensait de Cherubini et comment, aux yeux du grand compositeur des symphonies, l’auteur de Mêdée, de Faniska, de Lodoïska, passait non-seulement pour un modèle de correction, de pureté, de clarté, d’élégance dans le style, mais aussi pour un écrivain dramatique sans égal. Cette opinion, je dois le reconnaître, m’avait toujours semblé une boutade, une sorte de pavé lancé par le sublime bourru dans le jardin de Mozart. Et cependant telle est l’influence de la moindre parole d’un homme de génie que je voulus en avoir le cœur net. Maintenant, pourquoi ne le dirais-je pas? cette partition placée si haut par Beethoven, plus haut, s’il vous plaît, que le Don Juan, — cette partition des Deux Journées ou du Porteur d’eau, ainsi qu’on l’appelle de l’autre côté du Rhin, — lorsqu’il m’arriva de l’entendre à Leipzig, me laissa presque froid. J’eus beau me tourmenter l’esprit à chercher le secret d’un pareil enthousiasme, mon effort demeura vain. Toutefois, si je ne devinai point l’énigme, et continuai après comme devant à me demander ce qui faisait qu’un Beethoven pouvait avoir mis là son idéal, cette musique plus admirative que vraiment dramatique et conçue d’ailleurs dans un système qui n’est plus le nôtre, sans m’émouvoir beaucoup, produisit cependant sur moi un certain effet. Le raisonnement, à calcul, me parurent y être bien plus en cause que l’inspiration; mais il n’en reste pas moins vrai que deux des principaux morceaux de cet ouvrage,