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musique a son agrément imprescriptible. L’histoire est, à vrai dire, toujours plus ou moins la même; mais l’habileté du métier consiste à savoir varier les effets, tirer d’un fonds qui ne change pas des situations nouvelles qu’on développe avec esprit, qu’on rime tant bien que mal, des scènes qu’on expose, qu’on noue et qu’on dénoue dans des conditions particulières de durée, ni trop longues ni trop courtes, et dont l’action, entremêlée de rires et de larmes, émue, pittoresque, amusante, ne perd jamais de vue ce point principal, qu’elle n’est là que pour faire valoir, dans certains momens déterminés, psychologiques, si je puis ainsi parler, les diverses formes de l’art auquel cette fois elle sert de thème.

En ce qui touche à la musique, de même que pour la pièce, l’opéra-comique a sa poétique. Il ne s’agit pas ici de se donner des airs de symphoniste indépendant, mais de suivre pas à pas le texte auquel on est lié, d’en rendre exactement l’esprit, sinon la lettre, de se mouvoir au milieu des obstacles avec toutes les apparences de la plus complète liberté. Rien d’obscur, de bizarre, point de ces énigmes qui vous forcent de remettre au lendemain votre jugement; il faut être clair sans être banal, original et symétrique à la fois. Voyez M. Auber, tête pratique, talent sûr : accompagnemens, instrumentation, harmonie, modulations, l’emploi de tous les moyens techniques est chez lui si naturel qu’à peine s’en aperçoit-on. Je ne parle pas de l’idée, presque toujours d’invention heureuse, et qui tantôt simple, tantôt s’amalgamant d’autres motifs accessoires, qu’elle passe des voix à l’orchestre ou de l’orchestre aux voix, ne cesse point d’être en parfaite analogie de sentiment et de proportions avec le sujet qui l’encadre. Nommerai-je certains ouvrages auxquels, depuis trente ans, plus ou moins, le public vient dès qu’ils se montrent : la Dame blanche, Fra Diavolo, le Pré aux Clercs ? Dieu sait si les temps ont marché, et cependant il semble qu’en dépit de nos progrès, de nos tendances, cette musique conserve aux yeux des générations nouvelles l’irrésistible attrait de la jeunesse. C’est qu’il n’y a pas que du génie dans ces opéras ; en dehors de leur valeur musicale, ils ont un mérite singulier dont involontairement notre patriotisme leur sait gré : ce ne sont point seulement d’excellens ouvrages, mais aussi des modèles, des modèles parfaits, dans un genre que nous aimons, et qui a ses règles, ses principes, qu’à défaut d’Aristote enseignent les chefs-d’œuvre. Une ouverture d’opéra-comique par exemple n’est point une symphonie. Par le style comme par le mouvement, il faut qu’elle soit en rapport avec l’action qui va suivre, que le sérieux y tienne sa place, qu’un peu de frayeur intervienne; c’est dans l’ordre, pourvu qu’au demeurant cela plaise et vous donne un avant-goût des mélodies qui se succéderont tout à l’heure. Les Allemands, je le sais, attribuent au développement thématique d’une même idée une importance dont en France on fait bon marché. Boieldieu, Hérold, M. Auber, procèdent à cet égard tout autrement que Mozart ou Beethoven. Les phrases vives, lé-