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sera pas suivie d’effet, et alors pourquoi commencer une poursuite? pourquoi même signer un contrat, puisqu’il se trouve dépourvu de sanction? Dans plusieurs corps d’état, notamment dans la fonderie de fer, on a eu l’idée de prélever une retenue de 25 pour 100 sur le salaire des apprentis. Cette retenue accumulée fait à la sortie une masse sur laquelle le patron peut se payer des amendes qui lui sont dues. Ce moyen n’est pas toujours praticable; il laisse l’apprenti sans recours, et ne garantit tout au plus que l’intérêt du patron.

Il y aurait lieu d’appliquer à la solution de cette difficulté le principe de solidarité, principe tout nouveau dans notre droit et dans nos habitudes, et qui a, dès sa naissance, rendu tant de services. Nous avons marché très lentement du mont-de-piété à la caisse d’épargne, très rapidement de la caisse d’épargne aux assurances sur la vie et à la caisse des retraites, aux sociétés de secours mutuels et aux sociétés, bien autrement fécondes et encore mal définies, de crédit mutuel. Pourquoi les pères de famille ne formeraient-ils pas une caisse qui aurait pour objet de garantir le paiement des amendes dues par le patron ou par l’apprenti? L’intérêt produit par l’argent versé dans cette caisse couvrirait les pertes, s’il y en avait, et il y en aurait d’autant moins que le membre de l’association qui donnerait lieu à une dépense deviendrait débiteur de ses associés et parviendrait le plus souvent à effectuer sa libération. L’existence d’une pareille caisse serait une grande sécurité pour les familles; elle donnerait une grande force aux contrats; elle permettrait aux apprentis de payer avec de l’argent, au lieu de payer avec du temps, les chômages occasionnés par la maladie pendant la durée de l’apprentissage. Une fois l’association en voie de prospérité, on pourrait faire des prêts d’honneur à d’honnêtes et laborieux enfans frappés tout à coup par la mort de leurs parens et mis dans l’impossibilité de continuer les études de leur profession. Ce serait même un puissant moyen d’émulation dans les écoles, si l’association décidait que les élèves les plus distingués seraient placés dans des établissemens d’un ordre supérieur, non pas à ses frais, mais sous son patronage et au moyen d’avances qu’elle fournirait. Le fils d’un pauvre ouvrier pourrait ainsi devenir avocat, ingénieur à l’aide de ses pairs, sans rien devoir à personne, si ce n’est de la reconnaissance. Cette belle institution existe en Allemagne. On voit un juge rendre par annuités à de simples artisans l’argent qu’ils lui ont prêté pour suivre les cours de l’université, et il n’en est pas moins fier sur son tribunal. Notre temps, qui a ses tristesses et qui a aussi ses consolations, serait digne de voir naître une institution de ce genre, car on n’a jamais été plus préoccupé de l’éducation des enfans, et jamais le sentiment de la famille, qui fait la force