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gence pour s’apercevoir que l’apprentissage est nul ou insuffisant; mais, contre les mauvais traitemens que son fils aurait à subir, il est armé par sa tendresse d’abord et ensuite par la loi. Si l’enfant est employé à des services qui ne se rattachent pas à l’exercice de sa profession, à des travaux insalubres ou au-dessus de ses forces, si on le fait travailler la nuit ou plus de dix heures par jour, on peut invoquer les articles 8 et 9 de la loi de 1851. S’il a subi de mauvais traitemens, on peut demander la résiliation du contrat, sans préjudice des réparations civiles et des poursuites correctionnelles. Enfin, le maître étant tenu de se conduire envers l’apprenti en bon père de famille, il est évident qu’il doit le loger convenablement, suivant ses moyens, et lui donner une nourriture saine et suffisante. La loi est entrée dans tous ces détails : que pouvait-elle faire de plus? Il est vrai; mais quand le patron est dans la misère, ce qui est loin d’être rare, et qu’il n’y a pas assez de pain pour tout le monde, la ration de l’apprenti sera retranchée, en dépit de la loi, avant celle du fils de la maison. La loi dit bien qu’on ne doit travailler que dix heures; mais il n’y a pas de pendule dans l’atelier, l’ouvrage presse, les autres travaillent jusqu’à la nuit, l’apprenti fait comme eux : comment pourrait-il quitter l’établi? où irait-il? Il est rare qu’il ait une chambre pour lui seul. S’il n’y a pas de femme dans la maison, pas de domestique, on ne peut compter qu’un enfant de sept à huit ans sera proprement tenu, qu’il sera soigné s’il tombe malade : tout le monde dans la famille et dans l’atelier a sa tâche inexorable, qui ne permet ni interruption ni retard. Le patron est obligé, par le contrat et par la loi, de veiller sur les mœurs de l’apprenti : pourra-t-il y veiller, s’il a un atelier nombreux? Et même, s’il n’a pour tout aide que son apprenti, pense-t-on qu’il veillera sur lui, une fois la pesogne faite? Quand il va au cabaret, mettra-t-il l’apprenti sous clé pendant ce temps-là? Il faut bien qu’il le laisse sortir et aller où bon lui semble. Le père n’est pas toujours averti ; il ne sait ce qui se passe que par les doléances de l’enfant. Pour qu’il ait le droit d’intervenir, il faut des faits d’une certaine gravité, mesure bien difficile à saisir pour un homme qui a été élevé durement et qui a toujours été dur pour lui-même. Après tout, c’est une assez grosse affaire que d’aller devant les prud’hommes ou devant le juge de paix. C’est d’abord du temps perdu, et puis on peut succomber, et alors que devient l’enfant, livré désormais à un ennemi? Si l’on gagne, il faut savoir où l’on placera l’enfant. Il n’y a pas toujours un autre maître tout prêt ou de la place dans la maison paternelle. Nous disons métaphoriquement : avoir du pain sur la planche; ce n’est pas une métaphore pour les pauvres gens, il y a des maisons où le pain manque souvent sur la