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pour assister à l’école. Ces deux heures sont, pour le maitre, une perte sans compensation, et cette perte est surtout sensible quand le travail de l’apprenti est l’unique rémunération des frais qu’il occasionne. On s’explique très bien que le maître ne se soucie pas de prendre un apprenti qui ne travaillera que huit heures, au lieu d’un apprenti qui en travaillerait dix, et qu’une fois le contrat signé il ne se donne pas grand’peine pour envoyer l’enfant à l’école et pour se priver ainsi de ses services pendant deux heures tous les jours. Au fond, la loi ne le rend pas responsable de la fréquentation de l’école; il est seulement tenu de laisser prendre à l’apprenti le temps d’y aller. En d’autres termes, il ne peut pas refuser la permission, si on la lui demande. Au moins dans la loi de 1841 on avait un recours direct, une action légale contre le patron négligent. A dix ans de distance, la législation a reculé au lieu d’avancer.

Personne n’ignore que la France occupe un des derniers rangs, parmi les nations de l’Europe, pour l’instruction primaire. On le déplore, on en rougit. On sent doublement la nécessité de l’instruction depuis l’établissement du suffrage universel et la suppression du système protectioniste. On dit qu’on ne refuse d’établir chez nous l’instruction obligatoire telle qu’elle existe en Prusse, en Suisse et dans presque toute l’Allemagne, qu’à cause du respect dû à l’autorité paternelle; mais ici ce n’est pas le père que la loi aurait devant elle, c’est le patron; ce n’est pas dans la famille qu’il s’agirait d’intervenir, c’est dans l’atelier. Le principe de la responsabilité directe du patron a été posé nettement dans la loi de 1841; pourquoi n’a-t-il pas été maintenu dans celle de 1851 ? Pourquoi n’a-t-on pas pris les mesures nécessaires pour rendre efficaces l’une et l’autre loi? A-t-on peur d’éclairer le peuple? Ne comprend-on pas tout ce qu’il gagnerait en habileté professionnelle, en moralité et en bien-être, s’il avait plus de lumières? Y a-t-il un bien plus facile à faire, un devoir plus impérieux, un plus grand service à rendre à l’humanité et à la patrie?

A défaut de l’instruction générale, abandonnée, sacrifiée, autant par la faute de la loi que par celle des parens et des maîtres, l’instruction professionnelle est-elle au moins donnée convenablement? Cela importe à l’état, comme aux enfans et aux familles. Il faut qu’un état ait de bons soldats dans ses armées et de bons ouvriers dans ses ateliers. Nous avons d’assez bons soldats, comme le monde le sait, un peu à ses dépens : où en sont nos ouvriers? Quel est notre rang dans les expositions internationales? Et quelles sont, sur les divers marchés, la qualité et la quantité de nos exportations? Nous pourrons faire des conseils-généraux, des chambres consultatives, des comices, des sociétés industrielles, distribuer des croix et des