Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bon maître, sur la sollicitude et l’intelligence du père; mais tous les enfans n’ont pas de père, et tous les pères n’ont pas le cœur d’un père. Un ouvrier nomade, sans capacité, sans moralité, sans ressources suffisantes pour vivre, lui et les siens, se décharge le plus vite qu’il peut, et sur le premier venu, du soin de nourrir et d’élever son enfant. Quelquefois, plus soucieux et plus attentif, trompé par des apparences de probité, il livre son fils, croit lui donner un maître, et ne lui donne en réalité qu’un tyran.

La loi a bien pris cependant quelques précautions, mais ses dispositions, presque toujours incomplètes, sont facilement éludées. Par exemple, pour la limitation de la journée, qui est de dix heures, et que nous voudrions réduire à six, la loi est demeurée sans effet. On peut affirmer que les trois quarts des parens ne la connaissent pas. Sait-on ce que dure à Lyon, dans le tissage et les industries connexes, la journée de l’adulte? Treize, quatorze et quelquefois quinze heures. Si un apprenti annonçait l’intention de travailler dix heures seulement, il trouverait difficilement un patron, et voici pourquoi. Tout patron ou chef d’atelier a dans sa chambre quatre, cinq ou six métiers qui forment son capital. Deux de ces métiers sont occupés par lui et sa femme; il loue les autres à des compagnons, et tire de cette location un bénéfice assez élevé. Quand un apprenti qui occupe un métier ne travaille pas, le patron ne perd pas seulement le travail de l’apprenti, il perd la location du métier; c’est pourquoi il n’est pas rare de voir des enfans de douze ou quatorze ans, des jeunes filles, travailler treize heures par jour, et même plus, comme leurs maîtres. Toute cette population est sobre, économe, laborieuse, dure pour elle-même. Dans la plupart des industries lyonnaises, la journée est de treize heures. Passe pour les adultes, puisqu’ils le peuvent et le veulent; mais il est cruel de penser qu’on impose à des enfans une tâche qui serait trop lourde pour des hommes faits.

Une des conséquences de cette situation de la fabrique lyonnaise, c’est que très peu d’apprentis suivent les écoles. Après avoir décidé, dans son article 9, que la durée du travail effectif des apprentis âgés de moins de quatorze ans ne pourra dépasser dix heures par jour, la loi de 1851 ajoute, dans l’article 10, que si l’apprenti âgé de moins de seize ans ne sait pas lire, écrire et compter, ou s’il n’a pas encore terminé sa première éducation religieuse, le maître sera tenu de lui laisser prendre, sur la journée de travail, le temps nécessaire pour son instruction, et que ce temps ne pourra pas dépasser deux heures. Ces deux articles semblent contradictoires, puisque l’un impose dix heures de travail effectif, tandis que l’autre permet de prélever deux heures sur la journée de travail