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se rappeler ce qu’est un bon ouvrier horloger : c’est un mécanicien, un artiste. Avec une petite mise de fonds, il peut aisément devenir fabricant et marchand, parce que pour la réparation et même pour la fabrication des montres à l’usage civil il n’est pas nécessaire d’avoir un atelier ; le maître suffit avec un apprenti et un compagnon. D’ailleurs les petits horlogers, qui ne font que du rhabillage et des réparations, n’iront pas se former dans une institution spéciale ; leurs bénéfices sont trop restreints pour qu’ils affrontent les dépenses qu’une pareille résolution leur imposerait. L’école fondée à Paris par M. Mildé en fournit la preuve. Cette école est gratuite, mais l’élève donne en entrant, à titre de cautionnement, une somme de 50 francs, qu’à la vérité on lui rend plus tard ; il paie 5 francs par mois, pendant vingt mois, pour l’outillage, et c’est un avantage énorme, car l’outillage coûte ordinairement 350 francs. Il n’est reçu qu’après un examen dans lequel il doit prouver qu’il sait passablement l’orthographe, le système métrique et l’arithmétique jusqu’aux fractions inclusivement. Il doit être âgé en entrant de treize ans au moins, et l’apprentissage dure quatre ans pour les montres, pendules et compteurs à l’usage civil, cinq ans pour les instrumens de précision. Il faut donc s’entretenir et même faire des dépenses spéciales jusqu’à l’âge de dix-sept ou de dix-huit ans. Cela suppose une assez grande aisance, et très peu d’ouvriers sont en mesure de donner à leurs fils une pareille éducation. Ces écoles n’en sont pas moins précieuses, parce qu’il en sort des ouvriers d’élite, des patrons instruits, en un mot des moniteurs. Il faut les recommander, les aider, les propager ; elles contribuent à perfectionner notre main-d’œuvre, et c’est par la main-d’œuvre surtout que notre industrie nationale doit prospérer. Ces écoles modèles cependant, qui sont et seront toujours à la portée du petit nombre, forment en définitive plutôt l’esprit que la main. Ce qui doit être universel, ce sont les écoles primaires, parce que tout le monde doit savoir lire et écrire ; ce qui doit être très général, sans être universel, ce sont les écoles professionnelles, ou écoles primaires supérieures, parce que tous les enfans qui se sentent capables doivent trouver près d’eux les ressources nécessaires pour cultiver leur esprit, perfectionner leur éducation et donner l’essor à leurs facultés. Quant aux écoles d’apprentissage, elles ne doivent et ne peuvent être qu’une exception, et jamais les écoles professionnelles ni les écoles d’apprentissage ne dispenseront les ouvriers, et surtout les ouvriers pauvres, de s’engager dans un atelier pour y apprendre leur état.

Après tout, où est le mal ? L’habitude du travail manuel est essentiellement virile ; elle fortifie l’âme et le corps, pourvu que le