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excellente loi, une loi nécessaire et profondément humaine? Il y avait, avant cette loi, des enfans de six ans dans les manufactures; on les y tenait enfermés pendant la journée entière, et la journée était alors de treize ou quatorze heures. Ces pauvres êtres avaient encore bien souvent un quart de lieue ou une demi-lieue à faire pour rentrer chez eux après treize heures de fatigue. Ils n’y trouvaient pas toujours un lit. Les ateliers n’étaient pas à cette époque dans les conditions hygiéniques où nous les voyons. On disait que, pour faire tenir debout ces ouvriers de six ans durant la journée entière, il fallait emprisonner leurs jambes dans une boîte de fer-blanc : ce détail, souvent répété dans les livres et dans les discours, et qui n’a pas peu contribué à exciter la pitié, est très probablement apocryphe. Il n’y avait pas dans les ateliers d’instrumens de torture; mais ces interminables journées, ce long travail imposé à de si faibles corps, cette absence d’air et de mouvement, cette solitude, ce défaut absolu de soins et de tendresse, ne tardaient pas à triompher des constitutions les plus saines et à causer la mort ou des maladies incurables. La loi de 1841, qui devait mettre fin à tant d’abus, remédier à tant de douleurs, ne fut pas votée sans peine ; cela tient sans doute à ce que peu de personnes avaient pénétré dans les ateliers, et vu de leurs yeux ce qui s’y passait. On invoqua contre la loi l’intérêt des fabricans : quel intérêt? Ils n’en avaient aucun, et quand ils en auraient eu! On parla moins du droit des pères de famille; c’est qu’au fond le droit de faire travailler un enfant de moins de huit ans pendant douze heures par jour ne diffère guère du droit de le tuer. Si ce mot paraît une exagération, que l’on consulte les tables de mortalité, et l’on se convaincra qu’il n’est que juste. La loi passa néanmoins, aux applaudissemens de tous les gens de cœur, et l’on put constater presque immédiatement qu’elle n’avait aucun résultat funeste pour l’industrie, et qu’elle en avait d’excellens pour l’hygiène publique. Elle a rendu les plus grands services partout où elle a été bien observée. Ce qu’on lui reproche aujourd’hui avec pleine raison, c’est de manquer d’une sanction efficace et de laisser encore au travail des enfans une trop grande latitude. Son mérite est d’avoir posé le principe; son défaut, de l’avoir appliqué très imparfaitement. Il est urgent, pour la compléter, de créer un corps d’inspecteurs salariés comme en Angleterre, et de réduire le travail des enfans dans les manufactures à la demi-journée. Cela doit se faire, et cela se fera.

Mais la loi de 1841 a un autre malheur : c’est de s’appliquer à trop peu d’enfans. Ceux qui l’ont faite ne l’ont guère considérée que comme un essai; ils ont avoué dans la discussion qu’ils avaient peur de généraliser et qu’ils voulaient procéder avec une sage len-