croient s’en affranchir, et commencent par attester leur indépendance en le niant ou en le diminuant. M. Michelet l’avoue avec. une candeur un peu triste : « Il est en nos amis, dit-il, autant que dans nos ennemis; par un million de fils, souvenirs, habitudes, éducation, affections, chacun est lié au dedans, les grands esprits comme les autres... Tels génies de nos jours croient pouvoir encore concilier l’inconciliable... » Et la fantaisie elle-même, qui se croit libre et reine, a ses servitudes intérieures. — Que voulez-vous? c’est l’effet d’un bon cœur, souvenance des mères, pensées du berceau, peut-être l’image flottante de quelque bon vieux précepteur. C’est bien possible, quoique ces influences de sentiment, ces souvenirs d’enfance n’excluent nullement quelque chose de plus sérieux et de plus réfléchi. Ce qui est certain, c’est que le christianisme se mêle à la pensée même, ne fait qu’un avec elle, devient quelquefois la raison d’être du talent, et une des plus singulières études serait de rechercher ce qui reste encore d’invinciblement religieux dans les esprits qui se croient le plus libres, le plus irrévocablement affranchis. Ce qu’ils ont d’éloquence, d’élévation, de vigueur ou de finesse tient souvent à ce qu’ils ont gardé de chrétien. C’est la sève mystérieuse de leur intelligence, l’inspiration inavouée de leur talent, le .secret de leur originalité. Ils sont comme leur siècle, ils sont quelquefois plus chrétiens qu’ils ne l’imaginent eux-mêmes, et, sans aller bien loin, l’auteur de la Bible de l’humanité en est peut-être un exemple vivant. M. Michelet a beau vouloir paraître un révolté, se déguiser en Hindou, en Persan des époques fabuleuses; il se trahit lui-même à chaque instant, il garde malgré lui l’ineffaçable empreinte de l’initiation première.
C’est le charme de son talent, et, chose plus caractéristique, M. Michelet n’a pas seulement les qualités d’une intelligence imprégnée d’influence chrétienne, il en a, si j’ose le dire, les défauts; il n’est pas seulement chrétien, il a les entraînemens, les raffinemens dangereux d’un catholique démesuré et excessif par certains côtés. C’est un casuiste très subtil, un directeur obstiné de la conscience humaine, un confesseur acharné à pénétrer dans les derniers replis; il a toute une galerie de cas épineux, d’aveux surpris à ses pénitentes, car il a des pénitentes. Il a étudié en homme pratique les passions et les tentations ; il égale parfois les manuels de théologie morale. Et ce n’est pas tout : M. Michelet a quelque chose de l’échappé du cloître, disais-je ; il a surtout les imaginations fort libres de l’un de ces moines dont je parlais, qui, une fois émancipés; touchent à tout avec une candeur redoutable, soulèvent tous les voiles et vous laissent en présence de choses tout à fait humaines et fort simples peut-être, mais dont on n’a pas l’habitude de parler